Elections européennes des 6 et 9 juin 2024, quels enjeux pour la solidarité ?

 

Lou-Jayne Hamida, vice-présidente de la FAS
@JulienJaulin/hanslucas

Du 6 au 9 juin 2024, se tiendront les élections européennes. En France, les électeurs et électrices sont appelé.es à se rendre aux urnes le 9 juin afin de désigner les 81 eurodéputé.es qui les représenteront au Parlement européen pour les cinq années à venir. Lou-Jayne Hamida, vice-présidente de la FAS livre sa vision des enjeux en matière de solidarité.

 

Question : Quels sont les enjeux des élections européennes des 6 et 9 juin en matière de solidarité ?

 

Lou-Jayne Hamida : Ces dernières années, les citoyens de l’UE ont été confrontés à diverses crises majeures. La pandémie de Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine ont mis en lumière les vulnérabilités de notre société, les limites de notre système économique, l’insécurité sociale et la perte de confiance dans la démocratie. Le modèle européen de protection sociale a régressé, tandis que le développement économique prédominant a affaibli les capacités des institutions nationales à mettre en place des politiques sociales répondant aux besoins de la population. Ces crises, si elles ne sont pas traitées adéquatement, nourrissent un climat de peur, renforcé par une croissance persistante des inégalités et une hausse du coût de la vie. Cependant, il convient de noter que l’UE constitue un espace unique permettant d’aborder, à grande échelle, des problématiques communes qui dépassent désormais le cadre national.

Ainsi, s’inscrire sur les listes électorales et exercer son droit de vote revêtent une importance bien plus significative que de simples formalités administratives. Il s’agit d’un acte citoyen fondamental qui permet de prendre part au processus démocratique et de manifester son engagement citoyen. Le vote permet de faire entendre sa voix, d’exprimer ses opinions et ses préoccupations, et contribue à promouvoir les valeurs démocratiques à l’échelle nationale et européenne en portant l’ambition d’une Europe citoyenne, sociale, solidaire et écologique. Pour que ces objectifs se traduisent en actes, il est essentiel de se rendre aux urnes pour faire valoir ses opinions et ses priorités. La prochaine mandature revêtira une importance capitale dans un contexte caractérisé par une montée croissante de la précarité.

Les enjeux des élections européennes sont à la fois politiques, sociaux et économiques. Aujourd’hui, chaque enjeu majeur au niveau national comporte également une dimension européenne.

Tout d’abord, ces nouvelles élections poseront les bases d’une politique européenne de lutte contre la pauvreté à travers le Socle Européen des Droits Sociaux qui a permis de relancer l’Europe sociale à travers des engagements budgétaires, des initiatives législatives et la coordination des politiques nationales. Son plan d’action a inspiré plusieurs directives (dont celle sur les salaires minimums), mais il est essentiel de le renforcer pour une réelle efficacité. Il reste encore à améliorer le dialogue social, la négociation collective et la reconnaissance et valorisation du rôle de la société civile qui restent des outils essentiels pour façonner les transitions en cours.

L’UE est également un levier incontournable de la lutte contre le changement climatique. L’enjeu de ces nouvelles élections est de garantir une transition socialement juste vers la neutralité carbone qui doit faire partie intégrante de toutes les politiques. A cet effet, il est essentiel de répondre aux nouveaux défis comme la rénovation des logements afin d’éradiquer les passoires thermiques. Cette préoccupation est d’ordre européen, comme en témoigne la stratégie pour une vague de rénovation annoncée dans le Pacte Vert. Il est fondamental de davantage cibler les aides attribuées aux Etats membres, avec des critères de performance et une garantie contre les risques d’effets d’aubaine dans un contexte où les mesures d’austérité ne font qu’augmenter (notamment avec les 10 milliards d’euros d’économies annoncées dont une partie concerne des dispositifs d’aide aux ménages destinés à les accompagner pour une transition écologique juste).

Les élections européennes seront également l’occasion d’aborder les défis de la souveraineté alimentaire et de l’alimentation saine et accessible à tous. Les différentes crises ont largement impacté les marchés et l’ensemble des systèmes alimentaires, aggravant les problèmes d’insécurité alimentaire et plongeant davantage les agriculteurs ainsi que les citoyens et citoyennes dans la précarité. Les progrès anticipés dans ce domaine ont été interrompus, comme l’a illustré l’abandon du projet de Directive sur les Systèmes Alimentaires Durables. Cette décision envoie un signal très négatif en termes de cohérence, étant donné que le lien essentiel entre les politiques agricoles et alimentaires est encore largement absent et que la prise en compte des enjeux de souveraineté alimentaire européenne est presque inexistante. Le dialogue stratégique post-élections sur l’avenir de l’agriculture européenne lancé par la Commission européenne en janvier 2024 devra se montrer à la hauteur des défis posés par la crise agricole actuelle.

Malgré un élan politique pour combattre le sans-abrisme et le lancement de la Plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme (EPOCH), celle-ci n’est pas encore pleinement intégrée dans toutes les stratégies nationales, En effet, la lutte contre le sans-abrisme est absente des stratégies sur l’égalité des sexes, la stratégie sur la jeunesse ou dans le Pacte sur les migrations. Cette politique  manque d’une véritable stratégie européenne cohérente visant à éradiquer le sans-abrisme en fournissant un accès universel à un logement décent, des services de soutien et des programmes de réinsertion sociale. Une action collective à tous les niveaux de la société est nécessaire pour remédier à cette situation. Il est impératif de concrétiser l’ambition de l’EPOCH dans le nouvel agenda social européen.

Il est primordial d’atteindre les grands objectifs en matière d’emploi, de formation et de réduction des emplois précaires. Les prochaines élections européennes remettront à l’heure et à l’agenda certaines priorités afin d’avancer vers une amélioration des instruments financiers européens. Les conséquences des politiques relatives au changement climatique sur l’emploi pourraient affecter divers droits sociaux tels que le droit de travail, des conditions de travail équitables, un niveau de vie adéquat et la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Enfin, la question migratoire est centrale dans les débats politiques dans un contexte d’élections. Le nouveau Pacte sur la migration et l’asile introduit de nouvelles dérogations aux règles en vigueur dans les Etats membres, notamment à travers le règlement “crise et instrumentalisation”. Ce règlement prévoit des dispositions moins favorables aux demandeurs d’asile, comme la prolongation de la rétention et l’application de la procédure d’asile à la frontière. Les règlements inclus dans ce pacte prévoient la détention en masse des arrivants sur le territoire européen, y compris les familles et les populations vulnérables, ainsi qu’un traitement expéditif des demandes d’asile. Cela soulève des craintes quant aux atteintes aux droits des demandeurs. Plutôt que de réformer le système d’asile et de migration européen en respectant les droits, la responsabilité et la solidarité, le Pacte risque d’aggraver les défauts du système actuel. C’est pourquoi des efforts doivent être déployés pour opérer un véritable changement de cap et élaborer une politique migratoire européenne responsable, solidaire et respectueuse des individus et de leurs droits.  Ce sera tout l’enjeu de la nouvelle mandature.

 

Question : En vue de ces élections, vous avez participé à la construction d’un projet de sensibilisation et de mobilisation des personnes concernées, avec le soutien de la Délégation Interministérielle à la Prévention et à la Lutte contre la Pauvreté, pouvez-vous en donner les grandes lignes ? 

 

Lou-Jayne Hamida : EAPN France, la branche française du Réseau européen de lutte contre la pauvreté, soutenue par la Délégation Interministérielle à la Prévention et à la Lutte contre la Pauvreté, mène un projet ambitieux visant à sensibiliser et mobiliser les personnes en situation de pauvreté, précarité et/ou grande exclusion sociale autour des enjeux des élections européennes du 9 juin 2024.

L’objectif principal de ce projet est de rapprocher ces personnes des processus démocratiques et de renforcer leur participation citoyenne, particulièrement en ce qui concerne les questions européennes. Le projet repose sur une démarche collaborative incluant des personnes directement concernées par la pauvreté et l’exclusion sociale. Ces personnes sont intégrées au sein d’un Comité de Pilotage (COPIL) qui joue un rôle central dans la co-construction des actions de sensibilisation et de mobilisation. Les membres du COPIL sont issus d’organismes tels qu’EAPN France, le CNLE, le CNPA/CRPA, ainsi que de diverses associations travaillant avec les populations en situation de précarité et d’exclusion.

Pour renforcer l’impact de ce projet, EAPN France a établi plusieurs partenariats clés, notamment avec Europa Expérience, l’Institut Jacques Delors qui ont permis d’élargir le réseau de sensibilisation et d’apporter des expertises complémentaires au projet. L’atelier débat présenté lors du Congrès de l’UNIOPSS qui s’est tenu les 2 et 3 avril à Lyon, a eu un très bon accueil des congressistes tant sur la qualité des interventions que sur le format.

Nous avons mis en place plusieurs actions concrètes dans le cadre de ce projet. Nous avons mis en place des sessions de formation pour les membres du COPIL afin de les équiper avec les connaissances nécessaires pour relayer l’information et mobiliser efficacement les publics ciblés ; diffusé des supports pédagogiques adaptés pour faciliter la compréhension des processus électoraux et des politiques européennes ; organiser des ateliers participatifs pour expliquer les enjeux des élections européennes et l’importance de la participation citoyenne, des débats et des discussions pour encourager un dialogue ouvert sur les questions européennes

 

En résumé nos objectifs sont de :

  • Briser les barrières qui empêchent souvent la participation politique des personnes concernées tel que le manque d’information, sentiment d’exclusion du processus politique ou scepticisme quant à l’impact de leur vote.

 

  • Informer ces différents publics sur l’importance de leur vote et les enjeux spécifiques des élections européennes, et les encourager à participer activement au processus électoral.

 

  • Renforcer leur compréhension des politiques européennes et leur impact sur la vie quotidienne.

 

  • Lutter contre la montée des populismes en promouvant une participation citoyenne active et informée.

 

  • Élargir le champ d’actions en collaborant, en nouant des partenariats avec d’autres organisations associatives, institutionnelles, professionnelles, des ONG, des collectivités territoriales et ce pour une plus grande portée du projet.

 

  • Lancer une dynamique à moyen et long terme, afin de réconcilier le citoyen en général et les personnes concernées en particulier avec la Politique.

Projet de loi de finances : des avancées sur l’hébergement et le logement

L’Assemblée nationale a débuté l’examen de la partie II du projet de loi de finances 2024 (PLF2024). Cette partie est consacrée aux dépenses publiques. Parmi les propositions de la FAS, la commission des finances a retenu plusieurs amendements.

Sur l’hébergement, la commission des finances a adopté deux amendements transpartisans portant sur l’augmentation du nombre de places d’hébergement. Cette adoption concrétise notre mobilisation constante avec l’Unicef France, le Collectif des associations unies dont la FAS est porte-parole, de la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (FCPE), du collectif Jamais sans toit ; mobilisation ayant abouti une première fois par l’organisation d’une conférence de presse le 17 octobre à l’Assemblée nationale pour présenter les résultats actualisés du baromètre des enfants à la rue. En lien avec les partenaires susnommés, un courrier a été transmis à la Première ministre et au ministère du logement pour demander au gouvernement de maintenir ces avancées en cas de mobilisation du 49.3.

Sur le volet du logement, là aussi l’amendement que la FAS porte visant à favoriser la production de 60 000 logements PLAI, financés par le Prêt Locatif Aidé d’Intégration, a été retenu en commission des affaires économiques puis en commission des finances.

Enfin un amendement relatif au versement de la prime mensuelle de 183 euros net/ mois pour les salarié.es des Services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) a également été retenu. Nous portons cette demande auprès de la Première ministre depuis son engagement en novembre 2022, auprès du ministère du logement, de la DIHAL et des parlementaires.

S’il n’est pas certain que ces amendements soient retenus dans le projet de loi final – ni même examinés en séance publique dans l’éventualité d’un recours par le gouvernement de l’article 49-3 – ces adoptions témoignent de l’écoute par la représentation nationale des préoccupations de la Fédération.

Plusieurs autres amendements sont en cours d’études et la FAS espère d’autres succès avant l’examen des textes budgétaires par le Sénat.

 

Rémi Boura

Responsable des relations parlementaires et de la recherche-action

Zoom sur le Fonds d’Initiatives Locales contre les Exclusions (FILE)

Le FILE (Fonds Initiatives Locales contre l’Exclusion) est soutenu par la Fondation JM Bruneau depuis près de 20 ans des projets développés par les adhérents de la Fédération. En 2022, ce sont 105 projets qui ont été financés à hauteur de 420 000 euros.  L’objectif du FIL est de proposer un levier pour déployer de nouveaux projets et des actions complémentaires aux activités des associations sur lesquelles il est souvent difficile de trouver un financement. Au fil des années, le FILE a permis de favoriser des initiatives sur la participation et l’expression des personnes, l’accès à des activités éducatives, culturelles et sportives, d’accompagner l’accès au logement, d’aménager des espaces collectifs conviviaux, de créer des passerelles avec le monde de l’entreprise, d’élaboration des formations adaptées aux publics accompagnés. De nouveaux axes ont aussi été développés comme la lutte contre l’exclusion numérique et les réponses aux besoins urgents dans l’accueil des étranger.ère.s.

Parmi les exemples de projets soutenus sur l’axe emploi, on peut citer :

Sur les passerelles avec le monde de l’entreprise :

  • Le parrainage des salarié.e.s en insertion par des entreprises : renforcement de l’accompagnement vers l’emploi en mobilisant des parrains / marraines en entreprise, ce qui permet aux salarié.e.s en insertion de bénéficier d’un suivi individualisé et d’un réseau de parrains / marraines et à l’entreprise de repérer de futures ressources humaines ;
  • Le chantier d’insertion intégré dans l’entreprise : pour rapprocher les salarié.e.s en insertion au monde de l’entreprise en les intégrant directement dans une entreprise du secteur marchand, par la sous-traitance d’une partie d’un marché ;
  • Ça va cartonner : atelier de création de meubles en carton recyclé pour des femmes issues de quartiers défavorisées. Une mise en situation de travail complétée par un atelier de techniques de recherche d’emploi.

Sur la formation avec les publics :

  • L’éco-construction d’un bâtiment public : support à la formation des salarié.e.s en insertion aux techniques de construction écologique et au développement de ce type de chantiers auprès des collectivités locales ;
  • La mise en place d’un dispositif de certification des compétences des salarié.e.s en insertion, par des jurys professionnels internalisé par l’association ;
  • La mobilisation professionnelle renforcée : mise en place d’ateliers techniques sur le CV, la lettre de motivation, l’entretien, l’utilisation du web, couplés d’un stage avec des comédiens pour des jeux de rôles sur l’entretien d’embauche et l’accompagnement par un.e parrain / marraine dans une entreprise pour un premier lien avec la vie professionnelle ;
  • Cultiver son jardin : partenariat entre 6 jardins d’insertion pour mettre en œuvre une formation commune sur le maraîchage ;
  • L’auto-école sociale : portage d’une auto-école pour permettre l’accès au permis de conduire et à la mobilité pour des personnes en difficulté d’insertion professionnelle.

Parmi les projets sur l’axe habitat, on peut également citer :

Sur le montage de projets et d’aide au démarrage de nouvelles structures ou services d’accueil et d’hébergement 

  • La mise en place d’un appartement pédagogique pour réaliser des animations et mises en situation autour du savoir habiter, les droits, les devoirs des locataires, l’entretien, la consommation d’énergie, le bricolage …
  • Le développement d’une offre de logement intermédiaire : proposer une alternative à des ménages qui ne relèvent d’une orientation CHRS et qui n’ont besoin que d’un accompagnement léger avant de voir aboutir leur projet de logement ;
  • Le réaménagement d’espces collectifs : enrichir la vie collective d’un foyer de jeunes travailleur.euse.s et développer des animations autour d’ateliers de cuisine qui permettent l’organisation de tables d’hôtes ouvertes aux habitant.e.s du quartier.

Sur les actions favorisant l’accès ou le maintien au logement des personnes sans-abri ou sortant d’hébergement

  • Le lieu ressource logement ouvert aux personnes en situation de précarité. Il met en commun les moyens humains et financiers des associations pour permettre une offre de service complète sur un territoire pour accompagner l’accès ou le maintien dans le logement ;
  • La coordination de l’offre d’hébergement pour les détenu.e.s en fin de peine avec la préparation en amont par un diagnostic (intervention d’un travailleur social en maison d’arrêt) ;
  • La création d’une agence immobilière à vocation sociale : centre de ressources avec les bailleurs privés, elle assure une garantie par le suivi dans l’usage du logement, les relations avec le voisinage et les risques d’impayés ;
  • La mutualisation de compétences à destination des locataires d’un HLM : accompagnement social de salarié.e.s en insertion logés en sous-location dans un immeuble HLM et développement d’actions collectives pour tout.e.s les locataires, mise en place d’un jardin partagé, ateliers de cuisine ;
  • Le partenariat d’insertion locale : entre une association et un bailleur HLM pour favoriser l’insertion durable de sortants d’un CHRS, en les accompagnant dans leur logement mais aussi en développant des actions avec les bailleur et les habitant.e.s sur des projets de quartier.

Pour plus d’informations sur le FILE :

Fonds Initiatives Locales contre l’Exclusion (FILE)

Dans les newsletters de juillet et août, vous retrouverez des zooms sur les associations ayant réalisé les projets cités ci-dessous et d’autres projets innovants et d’autres axes (éducatifs et socioculturelles / accès aux droits et réduction de la fracture numérique / accueil et accompagnement des étranger.ère.s).