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12 janvier 2022

Femmes et exil : prise en compte des violences de genre au sein des structures du dispositif national d’accueil et insertion professionnelle des femmes étrangères

La Fédération des acteurs de la solidarité mène depuis plusieurs années des travaux relatifs à la prise en compte des violences de genre, qu’elles soient intrafamiliales, sexuelles ou qu’il s’agisse d’autres formes de violences, dans le cadre des activités de son réseau d’adhérents. Les femmes ayant vécu un parcours migratoire ou en situation de migration sont particulièrement exposées aux violences, qui peuvent avoir lieu dans le pays d’origine, au long du parcours migratoire, et se poursuivre dans le ou les pays d’accueil. Une analyse genrée des politiques d’accueil et d’accompagnement des femmes étrangères, et de la manière dont elle prennent en compte leur situation spécifique en tant que femme et les violences dont elles peuvent être victimes, nous paraît donc nécessaire.

Depuis plusieurs dizaines d’années, les femmes représentent presque 50% de la population migrante dans son ensemble au niveau international. Il n’existe donc pas à proprement parler de « féminisation de la migration », mais une attention spécifique est de plus en plus portée à ces femmes migrantes et à leurs parcours migratoires, notamment en ce qu’ils comportent de violences spécifiques du fait de leur genre.

En France, les statistiques sur l’immigration publiées par le ministère de l’Intérieur ne prennent pas en compte cette dimension genrée, contrairement aux chiffres relatifs aux demandes d’asile publiés par l’Ofpra. Ainsi, en 2020, les femmes représentaient environ un tiers des demandes déposées à l’Ofpra, et environ un tiers des admissions, malgré un taux de reconnaissance d’une protection internationale légèrement supérieur à la moyenne pour les femmes devant l’Ofpra (taux d’admission de 27,3% pour les femmes et de 23,7% au total).

La législation et la règlementation relative à l’asile ne font pas des femmes une catégorie spécifique en tant que telle, mais abordent la question des violences de genre via le prisme des vulnérabilités, notamment via les situations de traite des êtres humains (le plus souvent lorsqu’il s’agit d’exploitation sexuelle) ou encore les violences intrafamiliales.

Conditions matérielles d’accueil : le prisme de la vulnérabilité

L’Ofii est responsable de l’examen des vulnérabilités et est censé adapter en conséquence les conditions matérielles d’accueil, et plus spécifiquement les conditions d’hébergement. Il n’est pas prévu que l’allocation pour demandeur d’asile évolue dans le cas de situations de violences, et il a même été souligné par les acteurs de l’accompagnement des demandeuses et demandeurs d’asile que la délivrance d’une seule carte par famille, et la transformation de la carte ADA en une carte de retrait uniquement, représentent des entraves dans les situations de violence et plus globalement pour favoriser l’indépendance de chaque membre du couple et donc des femmes.

S’agissant de l’hébergement, 300 places dédiées à l’accueil des personnes victimes de traite des êtres humains et personnes victimes de violence ont été créées au sein du DNA, réparties sur 4 régions : Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Il s’agit de places dédiées à l’accueil des demandeurs d’asile (programme 303) ou des bénéficiaires de la protection internationale (programme 104). Elles bénéficient d’un financement complémentaire de 13€ / jour / place, qu’il s’agisse de place de CADA (coût moyen de 19,5€) ou de places d’HUDA (coût moyen d’environ 17€). Ces 300 places sont réparties de la manière suivante : 75 places de CADA pour un montant de 355 875€, 159 places d’HUDA pour un montant de 754 455€ et 66 places de CPH pour un montant de 313 170€. Soit une dépense totale de 1 423 500 € en 2020.

Si la Fédération salue la reconnaissance de besoins spécifiques d’accompagnement pour les femmes victimes de violence notamment, et le fléchage de moyens dédiés permettant d’assurer des missions supplémentaires, elle considère que le niveau actuel des prix de journée au sein du DNA reste insuffisant pour pouvoir permettre de répondre aux nombreux besoins actuellement constatés. Par ailleurs, la plupart des femmes ayant vécu un parcours migratoire ont été à un moment de leur parcours confrontées à des violences, dont des violences fondées sur le genre, et il convient donc que ces missions d’accompagnement spécifique puissent être assurées au sein de l’ensemble des structures du DNA. De plus, la création de places dédiées sur lesquelles l’orientation ne peut être assurée que par l’Ofii pose un certain nombre de questions, à la fois s’agissant de l’efficience du dispositif et de l’enjeu de protection de données personnelles à caractère sensible. Voir sur ce sujet l’analyse de la Fédération du Plan Vulnérabilités publié en 2021 par la DGEF.

La Fédération des acteurs de la solidarité fait partie depuis plusieurs années du projet « Un Abri pour toutes » en partenariat avec la Fondation des Femmes. Après une première phase d’expérimentation, des outils ont été élaborés, notamment un « guide à destination des professionnel.les pour une meilleure prise en compte des violences de genre dans les structures d’hébergement mixtes », des préconisations ont été formulées à l’attention des pouvoirs publics, et enfin un projet d’essaimage a été proposé afin de mettre en œuvre les propositions de ce projet au sein de plusieurs dizaines de structures (consulter l’article « La Fédération des acteurs de la solidarité et la Fondation des Femmes font des propositions pour améliorer l’accueil des femmes dans les centres d’hébergement »).

D’autres associations ont aussi mené des projets, notamment au niveau européen, pour améliorer les conditions d’accueil des femmes au sein du DNA. C’est le cas de France terre d’asile avec le projet Swim : Safe Women in Migration, qui a permis l’élaboration d’outils qui ont été présentés aux partenaires français par l’association. Ont ainsi été élaborés une charte européenne pour l’amélioration de la protection des femmes dans le DNA et des brochures et affiches, traduit en 6 langues (albanais, arabe, anglais, géorgien, perse, russe) qui visent à sensibiliser les femmes hébergées sur leurs droits et à leur fournir des contacts utiles. Vous trouverez ces ressources et des informations plus détaillées sur le projet Swim sur le site de France terre d’asile : https://www.france-terre-asile.org/projet-swim.

Intégration : une attention spécifique à l’insertion professionnelle des femmes étrangères

Au sein d’une politique d’accueil des demandeuses et demandeurs d’asile et d’intégration des personnes étrangères (réfugiées ou primo-arrivantes) qui prend globalement peu en compte une dimension genrée, des orientations spécifiques aux femmes ont été récemment définies s’agissant de la politique d’insertion professionnelle des femmes étrangères.

Le document de politique transversale « politique de l’égalité entre les femmes et les hommes » présente quelques données genrées. Ainsi en 2019, l’Ofii indique que :

  • 47,2% des signataires du contrat d’intégration républicaine sont des femmes (50 729 femmes sur 107 455 signataires), se situant pour la plupart (66,6%) dans la tranche d’âge 26-45 ans
  • 8,2% d’entre elles déclarent avoir au moins un enfant de moins de 3 ans
  • 39,2% d’entre elles déclarent avoir fait des études supérieures dans leur pays d’origine (proportion supérieure à celle des hommes pour lesquels ce taux est de 26,9%).

Le document cite aussi l’enquête ELIPA 2 (étude de suivi de cohorte conduite sur 6 547 personnes ayant obtenu un premier titre de séjour d’au moins un an en 2018 dans 10 départements), qui révèle de fortes disparités entre femmes et hommes s’agissant de l’insertion professionnelle : alors que 83% des hommes ayant obtenu un premier titre de séjour en 2019 sont présents sur le marché du travail en 2019, seules 50% des femmes le sont, et le taux de chômage des femmes est deux fois plus important que celui des hommes. Ces constats rejoignent des dynamiques similaires au niveau européen : des femmes relativement jeunes qui s’installent dans les pays d’accueil et qui ont des enfants relativement rapidement après leur arrivée, avec une intégration sur le marché du travail qui se fait plus tard et de manière progressive.

Ces résultats expliquent que les orientations relatives à la politique d’intégration (voir analyse de la circulaire de 2021 sur le site de la Fédération) mentionnent explicitement « la participation des femmes primo-arrivantes au marché du travail » en tant qu’objectif à poursuivre pour les préfets via les crédits du BOP 104 qui leurs sont délégués. Le document de politique transversale relève aussi deux projets financés dans le cadre de l’appel à projet national du BOP 104 : la création d’un centre de ressources digitales visant à soutenir la professionnalisation des acteurs de l’intégration s’agissant des violences de genre, porté par le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants (GAMS), et un autre projet de professionnalisation et outillage des professionnel.les des CIDFF, acteurs de l’emploi et partenaires s’agissant des freins spécifiques rencontrés par les femmes dans leur insertion professionnelle.

Enfin, le document de politique transversale cite, parmi d’autres exemples, le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » (OEPRE), qui propose des temps d’apprentissage linguistique, et de découverte du système éducatif pour les parents primo-arrivants. Ce dispositif n’est pas destiné spécifiquement aux femmes, mais du fait de la tendance à déléguer le travail d’éducation des enfants et de suivi de la scolarité aux femmes (qui se constate en France comme dans d’autres pays), on remarque que les participantes à ces ateliers sont à 85% des femmes.

La Fédération des acteurs de la solidarité est aussi engagée pour la défense et la promotion de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Plusieurs webinaires relatifs à la mise en œuvre de cette égalité et à la prise en compte des violences de genre dans le secteur de l’insertion par l’activité économique ont été organisés en 2021 (webinaire 1 et webinaire 2). En parallèle, des travaux ont été menés afin de favoriser l’accès à l’emploi des personnes BPI ou allophones. Ces échanges ont permis d’identifier des axes de travail à approfondir, notamment s’agissant de l’accès aux solutions d’accueil du jeune enfant.

Plus généralement, la Fédération est engagée, dans la lignée de travaux précédents et via plus récemment la création d’un groupe de travail Droit des femmes, dans la défense et la promotion des droits des femmes, dont les femmes étrangères, pour lesquelles la situation spécifique au regard de la migration et de la potentielle précarité de leur situation administrative en France doit être prise en compte. Retrouvez sur son site internet l’ensemble des propositions formulées par la fédération à l’occasion de l’acte I de son Congrès national les 6 et 7 janvier 2022 dans le cadre des élections présidentielles.