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9 mars 2023

Un an d’accueil des réfugiés ukrainiens : un premier bilan de la Cour des Comptes

La Cour des Comptes a publié son rapport « L’accueil et la prise en charge par l’Etat des réfugiés d’Ukraine en France en 2022 » qui propose, à la suite d’un « audit flash », un premier bilan de l’organisation de cet accueil en France et fait quelques recommandations pour les années à venir. Pour la Cour des Comptes, il convient en particulier de mieux encadrer l’hébergement citoyen en cas de financement par l’Etat, d’assurer la visibilité du financement budgétaire des dispositifs dédiés en 2023, et d’anticiper et clarifier la fin de la protection temporaire. Si la FAS partage ces recommandations, elle soutient aussi le fait que des apprentissages sont à tirer de manière plus globale de cette crise afin de garantir de meilleures conditions d’accueil pour l’ensemble des personnes en demande d’asile et réfugiées.

Un cadre juridique spécifique

Le rapport souligne le caractère inédit de la protection temporaire, statut existant dans le droit français en vertu d’une directive européenne adoptée au début des années 2000, mais qui n’avait jamais été appliquée. La Cour défini la protection temporaire comme l’octroi d’un « asile » de courte durée, sans souhait d’une installation durable, mais qui permet une ouverture de droit plus large que pour les demandeurs d’asile « de droit commun » : santé, logement, accès à l’emploi, allocations familiales, etc. (cf. article FAS sur la protection temporaire).

La Fédération note en particulier le fait que la Cour évoque l’absence de « souhait d’installation durable », ce qui fonde une forme de paradoxe dans l’accueil des réfugiés ukrainiens. En effet, les bénéficiaires de la protection temporaire bénéficient de droits élargis par rapport aux demandeurs d’asile (qui eux ont le plus souvent pour objectif de s’installer durablement), mais moindres que ceux octroyés aux personnes qui obtiennent le bénéfice d’une protection internationale (BPI), à qui est ainsi reconnu le droit de s’installer de manière définitive sur le territoire. Or les parcours d’intégration des BPI pâtissent de l’accès aux droits restreint dont ils ont fait l’objet lorsqu’ils étaient demandeurs d’asile (par exemple, le fait de ne pas avoir eu accès à des cours de langue lorsqu’ils étaient en procédure d’asile).

La Cour relève par ailleurs dans son rapport qu’au regard de l’inscription du conflit dans la durée, il convient de renforcer l’accompagnement à l’intégration des personnes accueillies, ce qui est parfois complexe lorsque les personnes concernées elles-mêmes souhaiteraient retourner en Ukraine dès que possible et ont donc du mal à se projeter en France.

Une mobilisation exceptionnelle des citoyens, des associations et des pouvoirs publics

L’accueil des personnes venues d’Ukraine a, comme le souligne la Cour des Comptes, fait l’objet d’une réponse exceptionnelle de la part des pouvoirs publics et des associations, notamment avec l’ouverture de plusieurs milliers de places d’hébergement, dans le cadre d’un système spécifique visant à éviter que l’hébergement généraliste et l’hébergement des demandeurs d’asile ne soient impactés. Mais cet accueil n’aurait par ailleurs pas été envisageable dans les mêmes proportion sans la mobilisation citoyenne, qui s’est traduit sous différentes formes, dont l’hébergement de réfugiés ukrainiens chez des particuliers qui a pu concerner environ 50 000 personnes. A cet égard, la Cour préconise un nécessaire encadrement de l’hébergement citoyen financé par l’Etat, la mesure de soutien financier pour les ménages accueillants ayant été mise en place à la fin de l’année 2022 ne permettant pas dans son format actuel de garantir des conditions minimales de qualité en termes de sécurité et de déroulement de l’accueil.

L’accès au logement, soutenu en particulier par des dispositifs d’intermédiation locative, qualifié de « levier incontournable », se met en place progressivement mais est aussi confronté à la difficile mobilisation de logements dans un contexte de manque de disponibilité et de construction, et à un modèle économique parfois fragile.

Le caractère exceptionnel de la mobilisation de l’ensemble des acteurs impliqués s’est aussi traduit par des formes d’organisation spécifiques pour garantir la rapidité et l’efficacité de la réponse apportée aux arrivées de personnes depuis l’Ukraine. Ainsi, des plateformes d’accueil ont été mises en place, avec, dans les grandes métropoles, une centralisation de l’ensemble des administrations, et la présence d’associations assurant une prise en charge dans des hubs. Ce format a permis de garantir que les personnes bénéficient rapidement d’un accès effectif à leurs droits, et puissent être orientées vers des solutions d’hébergement, sans craindre des ruptures et des périodes à la rue.

Des éléments chiffrés : accueil d’environ 115 000 personnes pour un coût total d’environ 634M€

Si le rapport évoque une comptabilisation difficile du nombre de personnes venues d’Ukraine, l’estimation se stabilise autour de 115 000 personnes accueillies de manière cumulée depuis le début du conflit avec une concentration en Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, et Grand Est. Fin décembre 2022, 86 000 autorisations provisoires de séjour étaient délivrées, et 45 000 ménages, correspondant à 82 000 personnes, bénéficiaient de l’ADA. L’accueil était stabilisé entre 2 000 et 4 000 nouvelles arrivées par mois. Il s’agit principalement de femmes avec enfants : les femmes représentent 75% des personnes majeures accueillies, et les enfants 30% de l’ensemble des personnes accueillies.

S’agissant du bilan des aides et de l’intégration :

  • Caisses d’allocations familiales : 15 200 foyers – 20% des bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) – étaient couverts par des aides de la Caf fin 2022 (9 032 bénéficiaires des allocations familiales et 5 818 des allocations d’aide au logement).
  • Assurance maladie : au 30 septembre 2022, 107 000 personnes étaient affiliées à la protection universelle maladie (PUMa).
  • Scolarisation : 19 236 élèves bénéficiaires de la protection temporaire étaient inscrits dans les établissements de l’Education nationale pour l’année scolaire 2022-2023, la Cour notant que d’importants efforts ont été faits pour intégrer ces élèves et les scolariser le plus rapidement possible.
  • Apprentissage de la langue : à la mi-octobre 2022, 4 500 personnes auraient a priori bénéficié d’ateliers sociolinguistiques, qui constituent une offre de premier niveau. Début novembre 2022, seules 2 547 personnes étaient entrées en formation via les cours proposés du volet linguistique du contrat d’intégration républicaine (CIR) géré par l’Ofii, volet qui a été ouvert aux BPT.
  • Accès à l’emploi : 11 916 BPT étaient inscrits à Pôle Emploi fin 2022, dont 2 820 inscrits en formation. 12 893 personnes de nationalité ukrainienne (peut inclure des personnes arrivées avant le conflit) ont été salariées au moins une heure dans le mois entre mars et décembre 2022.
  • Fin décembre 2022, 8 500 logements étaient occupés par plus de 27 000 personnes, 4250 logements étant issus du parc social (13 400 personnes) et 4 280 logements issus du parc privé, de particuliers et collectivités ou personnes morales (13 000 personnes).

Les principales dépenses associées ont été les suivantes : (voir p. 28 du rapport)

  • 218,5 M€ pour l’allocation pour demandeurs d’asile (qui a d’abord été majorée pour tous, puis cette majoration s’est limitée aux personnes qui n’étaient pas hébergées ou logées à titre gratuit)
  • 253,27 M€ pour l’hébergement, avec des coûts de journée des dispositifs plus élevés que ceux de l’hébergement d’urgence ou l’hébergement pour demandeurs d’asile, en partie dû au caractère urgent des mobilisations de solutions
  • 49,7 M€ dédiés à l’intermédiation locative
  • 14,2 M€ dépensés pour soutenir l’hébergement citoyen

Le total des dépenses s’élevant à 634 M€ pour l’année 2022.

Trois recommandations pour les années à venir

La Cour relève des questions en suspens : au-delà des évolutions relatives à l’hébergement citoyen, elle évoque la nécessité d’une relocalisation territoriale des bénéficiaires de la protection temporaire, dont une partie est concentrée dans les grandes métropoles. Cet objectif fait écho aux enjeux actuels d’orientation directive des demandeurs d’asile, et de desserrement de l’Ile-de-France via la mise en place de « sas » régionaux (cf. article de la FAS à ce sujet). La répartition territoriale des réfugiés ukrainiens est qualifié par la Cour d’« épineux problème » : des instructions ont été données en juin 2022 pour que deux refus de solutions de logement entraîne une fin de prise en charge, avec potentiellement une orientation vers une prise en charge dans l’hébergement généraliste. Mais la volonté politique de ne pas permettre de remise à la rue de personnes réfugiées d’Ukraine – qui est à saluer et qui devrait pour la FAS être étendue sans distinction de nationalité – et la saturation de l’hébergement généraliste au regard du manque de place viennent brouiller le message envoyé à la fois aux ménages ukrainiens et aux gestionnaires des dispositifs qui les accueillent.

La Cour souligne le besoin de renforcer l’accompagnement vers l’emploi, qui connait des « résultats modestes », et propose, à l’instar des constats fait pour les personnes étrangères d’autres nationalités et statuts, de renforcer l’apprentissage du français et de proposer des solutions d’accueil du jeune enfant. Elle souligne une forme d’insincérité du budget 2023 de l’Etat, les dépenses relatives à l’accueil des réfugiés ukrainiens n’y ayant pas été inscrites, et note que l’absence de visibilité financière pour les dispositifs assurant leur accompagnement représente un risque notamment pour les associations.

La Cour des comptes formule ainsi trois recommandations :

  • Recommandation n° 1 : Mieux encadrer l’hébergement citoyen en cas de financement par l’Etat
  • Recommandation n° 2 : Assurer la visibilité du financement budgétaire en faveur des réfugiés ukrainiens pour l’année 2023 et prévoir les crédits nécessaires
  • Recommandation n° 3 : Anticiper et clarifier les conditions de fin de prise en charge des bénéficiaires de la protection temporaire – la Cour souligne ainsi le besoin d’anticiper la fin du statut de protection temporaire au niveau européen (durée limitée à 3 ans) alors que les réfugiés ukrainiens pourraient encore être présents sur le territoire.

La Fédération des acteurs de la solidarité partage ces points de vigilance. Elle souhaite par ailleurs que ce travail d’analyse puisse être poursuivi afin que les apprentissages tirés de cette crise soient utilisés pour proposer de meilleures conditions d’accueil à l’ensemble des personnes venant demander l’asile en France, et pour construire des relations de travail plus fécondes et constructives entre les pouvoirs publics, les collectivités territoriales, les associations et les mobilisations citoyennes dans leur ensemble. Si cette crise a été l’occasion de démontrer qu’un accueil de qualité est possible, elle a aussi souligné de manière très visible les différences de traitement entre personnes exilées selon leur nationalité qui doivent nous inciter à améliorer les politiques d’accueil et d’organisation de la migration, au-delà des différences de statuts juridiques.