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12 juillet 2022

Prendre appui sur l’accueil des personnes venues depuis l’Ukraine pour accueillir dignement tou∙tes les exilé∙es

La Fédération des acteurs de la solidarité a pris toute sa part avec ses adhérents à l’indispensable et remarquable mobilisation de l’ensemble de la société française depuis le début de l’agression contre l’Ukraine. Forte de cette expérience, partagée dans un groupe de concertation avec la plupart des acteurs associatifs engagés dans les différentes formes d’accueil, la FAS souhaite alimenter la réflexion commune afin que l’ensemble des exilé∙es puissent bénéficier de ce retour d’expérience. 

Le constat : un bel élan qui souligne les limites des politiques d’accueil et a fait apparaître un douloureux « deux poids deux mesures »

L’accueil des personnes venues d’Ukraine est un impératif auquel ont largement contribué les adhérents de la FAS et la Fédération. Dès le début de la guerre en Ukraine, une mobilisation exceptionnelle s’est produite, de la part des citoyennes français∙es qui ont souhaité apporter un soutien, sous des formes variées (dons d’argent, de biens de première nécessité, accueil de personnes à leur domicile, cours de français, etc.), ainsi que de la part des associations et organisations spécialisées dans l’accueil des personnes exilées,  des collectivités territoriales, et des pouvoirs publics, qui ont fourni d’importants efforts pour faire en sorte que l’arrivée de ces personnes fuyant la guerre se déroule dans les meilleures conditions.

Cette mobilisation est une démonstration de la capacité collective de notre pays à accueillir les exilé∙es. Elle confirme toutefois les limites constantes des politiques et dispositifs d’accueil et a fait apparaître un « deux poids deux mesures » dans les conditions d’accueil au détriment des  personnes ne venant pas d’Ukraine – ou venant d’Ukraine mais n’ayant pas la nationalité ukrainienne, suscitant parmi les exilés et les équipes une profonde et douloureuse incompréhension. Les bénévoles et professionnelles qui accompagnent les personnes étrangères dans les impasses dans lesquelles elles sont plongées, s’interrogent sur ces différences de traitement, alors que l’action auprès de ces personnes est rendue extrêmement complexe par les nombreuses difficultés d’accès aux droits qu’elles rencontrent[1], et que le travail social, de manière plus globale, connaît une crise de vocation et une perte de sens.

Quels enseignements de l’accueil réservé aux personnes venues d’Ukraine ?

L’accueil des personnes venues d’Ukraine a donc fait la démonstration de la possibilité de cet accueil, et d’une politique migratoire et d’asile plus respectueuse des droits fondamentaux, de la dignité des personnes et de l’ordre public social. Il a aussi permis une forme d’expérimentation de certaines des propositions défendues, parfois depuis de nombreuses années, par les acteurs spécialisés dans l’accueil des personnes étrangères, dont font partie la Fédération et son réseau.

  1. L’accueil des Ukrainien∙nes, affaibli par un héritage de politiques dissuasives.

L’accueil des Ukrainien∙nes a été en particulier facilité par la mise en place immédiate de la protection temporaire, la mobilisation des associations et une grande qualité de concertation entre les associations et les administrations (Préfet Zimet en charge de la CIC, DIHAL, DGEF).

Il souffre cependant de l’ancienneté de politiques dissuasives : difficultés pour l’Etat d’organiser les parcours en lien avec les associations, collectivités et bailleurs ; absence de dispositifs préparés pour favoriser les installations en régions ; absence de l’Ofii ; tentation dans un premier temps de ne pas dimensionner les aides CAF à la taille des ménages par crainte d’un « appel d’air ».

  1. La mise en œuvre d’un principe cardinal : l’accueil comme état d’esprit.

L’accueil inconditionnel des personnes présentes sur le territoire comme préalable a constitué un changement de paradigme bienvenu et nécessaire. Il tourne le dos à une inspiration dissuasive constante, sauf parenthèses, des politiques migratoires et d’asile, marquée par l’inefficacité, les atteintes au droit et le désordre social, et pourrait bénéficier à l’ensemble du secteur de la lutte contre la pauvreté et le sans-abrisme. Impliquant davantage un changement de logique et des moyens adaptés que des modifications législatives, cette évolution permettrait de garantir des conditions d’accueil dignes, quelle que soit la politique d’accès au séjour mise en œuvre.

L’accueil des personnes venues d’Ukraine a démontré le bénéfice d’une approche centrée sur l’accueil, qui permet un examen des situations individuelles une prise en charge et une recherche de solutions adaptées, tout en garantissant le respect des droits et la prise en charge adéquate des besoins des personnes. La Fédération défend à ce titre un renforcement des moyens dédiés au premier accueil et à l’hébergement des personnes en demande d’asile.

  1. Élargir les droits des personnes étrangères

Du fait de l’application de la directive européenne relative à la protection temporaire, les personnes venues d’Ukraine ont pu bénéficier d’un statut spécifique, donnant accès plus rapidement à davantage de droits que ceux accordés aux personnes en demande d’asile ou en demande de titre de séjour. Certaines dispositions de la protection temporaire ont par ailleurs été modifiées afin de faciliter l’accès effectif aux droits (par exemple : les bénéficiaires de la protection temporaire devaient faire une demande d’autorisation de travail avant qu’un texte ne soit adopté pour les exempter de cette démarche, ou encore, le droit aux allocations d’aide au logement et aux prestations familiales n’a été acté que plusieurs semaines après le début du conflit). Or, ces droits représentent de réels leviers dans la prise en charge des personnes. Parmi les droits dont l’élargissement, en fonction du statut juridique mais indépendamment de la nationalité d’origine, devrait être à l’expérience étudié, on retiendra notamment :

  • L’accès à la PUMa sans délai de carence
  • L’accès direct au marché du travail
  • L’accès aux APL et aux prestations familiales sans délai de présence sur le territoire
  • La gratuité des transports mise en œuvre dans certaines villes, et la gratuité des transports ferroviaires inter-régionaux
  • L’accès aux cours de français financés par l’Ofii dans le cadre du CIR

Par ailleurs, certaines problématiques déjà soulignées par les associations spécialisées dans l’accueil des demandeurs d’asile et par la FAS ont été particulièrement relevées comme des freins dans le cadre de l’accueil des personnes venues d’Ukraine, s’agissant de l’allocation pour demandeur d’asile (délai de versement, montant trop faible même dans le cas d’une allocation majorée, conditions de versement via une carte qui permet uniquement le paiement par carte et non le retrait d’espèces).

La  Fédération rappelle ses propositions relatives à l’élargissement des critères d’accès au droit au séjour, à l’accélération des procédures administratives, ainsi qu’une simplification et une rationalisation de l’accès aux droits sociaux afin de sortir de situations de blocages très dommageables aux parcours d’insertion des personnes concernées. De manière non exhaustive, elle défend ainsi la fusion de l’AME et du régime général de l’assurance maladie, la suppression du délai de carence dans l’accès à la PUMa imposé aux personnes en demande d’asile, et des évolutions de l’allocation pour demandeurs d’asile.

  1. Renforcer l’effectivité de l’accès aux droits

Au-delà des droits en eux-mêmes, les conditions de l’accès effectif aux droits sont aussi à améliorer. On a ainsi vu pour les personnes venues d’Ukraine une mobilisation sans précédent des administrations pour garantir un accès rapide et effectif à leurs droits. Cela s’est traduit sur certains territoires par la mise en place de guichets regroupant un certain nombre d’acteurs (préfecture, Ofii, Caf, Cpam, etc.) ou a minima une réactivité et une disponibilité des services qui ont facilité considérablement les parcours des personnes ainsi que le travail ou l’action des professionnelles et bénévoles qui les accompagnent.

Les modalités organisationnelles des services publics responsables de garantir cet accès aux droits devraient  évoluer fort de cette expérience, via en particulier : selon les territoires et les besoins identifiés la mise en place de guichets multi-services et d’équipes mobiles d’intervention, l’interprétariat, l’organisation d’alternatives à la réalisation des démarches dématérialisées ainsi que l’élaboration des modules de démarches en ligne en lien avec les personnes concernées et les bénévoles et professionnelles qui les accompagnent, la mise en place de liens partenariaux entre structures accompagnatrices et administrations, etc.

  1. Construire des coopérations dans la confiance pour garantir la réponse efficiente aux besoins des personnes

Les récentes urgences relatives à l’organisation de l’accueil de personnes étrangères sur le territoire français (personnes évacuées d’Afghanistan suite à la prise de Kaboul par les Talibans, personnes fuyant l’Ukraine en raison de la guerre) ont aussi démontré que la coordination du travail entre acteurs de différentes natures – services de l’Etat et administrations, acteurs du logement, acteurs spécialisés dans l’accompagnement des personnes étrangères qui peuvent être professionnel∙les ou bénévoles, collectivités territoriales, ainsi que citoyen∙nes non spécialisé∙es et engagé∙es de manière durable ou spontanée dans une mobilisation relative à l’accueil – a des effets vertueux, et reste un levier de facilitation à approfondir.

Trois types de relations partenariales devraient être approfondies :

  • entre l’administration et les acteurs spécialisés, souvent associatifs, de l’autre. Faisant écho à la proposition d’un changement de méthode, basée sur la confiance entre les différentes parties prenantes, l’accueil des personnes venues d’Ukraine a illustré le fait que des marges de progression importantes existent dans la coordination et la coopération entre Etat, acteurs du logement, acteurs de l’hébergement et de l’accompagnement des personnes étrangères et mobilisation citoyenne, les logiques de cloisonnement et de silos étant encore très ancrées dans les pratiques de travail.
  • entre les acteurs associatifs, l’Etat et les collectivités territoriales, afin de mobiliser chacun de ces acteurs à hauteur de ses compétences. Les collectivités territoriales ont ainsi été fortement mobilisées dans l’accueil des personnes venues d’Ukraine avec la mise à disposition de locaux et de logements, en facilitant autant que possible l’accès aux écoles primaires et aux cantines scolaires, ainsi qu’en mobilisant les centres communaux d’action sociale et les services sociaux.
  • au sein du monde associatif entre action professionnelle et action bénévole, ainsi qu’entre monde associatif et mobilisation citoyenne qui se structurent hors du cadre associatif. Des complémentarités extrêmement pertinentes pour favoriser la prise en charge des besoins des personnes accueillies et accompagnées peuvent être identifiées entre les différentes actions, professionnelle, bénévole et citoyenne. Ainsi, il convient d’engager une réflexion sur la manière de coordonner davantage ces réponses, notamment à un niveau local. De plus, l’accueil des personnes venues d’Ukraine a provoqué une mobilisation importante de particuliers proposant d’héberger des ménages. Cet hébergement citoyen est un levier de citoyenneté et d’insertion intéressant lorsqu’il correspond à un véritable choix de la personne accueillie et que cette dernière, ainsi que le ménage hébergeur, bénéficient d’un accompagnement adapté. Il est intéressant de l’inscrire comme solution d’accueil à disposition, aux côtés des solutions d’hébergement et de logement relevant de dispositifs professionnalisés, qui resteront nécessairement plus structurantes.

La Fédération des acteurs de la solidarité poursuivra ainsi en lien étroit avec ses adhérents et ses partenaires associatifs (dont France terre d’asile, Forum Réfugiés-Cosi, Singa, Pierre Claver) la mobilisation à l’attention des pouvoirs publics et de l’ensemble des parties prenantes de la politique d’accueil des personnes étrangères en France. Elle développera ses partenariats avec les collectivités territoriales et les réseaux associatifs et citoyens afin de contribuer au changement de méthode suggéré et créer des dynamiques territoriales visant à faciliter l’accès aux droits effectifs des personnes accompagnées. Enfin, elle continuera à accompagner son réseau à travers des espaces de partage de pratiques et d’outils, comme elle le fait via la publication d’une étude relative à l’accompagnement des personnes étrangères en situation administrative précaire.

[1] Aurore, La Cimade, Coallia, Fédération des Acteurs de la Solidarité, Forum Réfugiés-Cosi, France Terre d’Asile, Groupe SOS Solidarités, Samu Social de Paris, Secours Catholique-Caritas France, « Accès aux droits des personnes étrangères. Recensement interassociatif des difficultés rencontrées par les personnes étrangères dans leur accès aux droits (droit au séjour, droits sociaux). » Consultable en ligne.