Retour à toute l'actualité

29 juin 2021

Rapport relatif aux moyens consacrés par les préfectures à l’instruction des demandes de titres de séjour

Les rapporteurs spéciaux de la mission Immigration, Asile et Intégration ont fait le choix, dans le cadre du rapport annuel consacré à l’examen de l’exécution du budget de l’année précédente de s’intéresser aux moyens dédiés par les préfectures à l’instruction des demandes de titre de séjour. A partir du constat d’un accroissement des difficultés relatifs à l’accès aux préfectures et aux délais d’examen des demandes, les rapporteurs proposent plusieurs mesures visant à améliorer la qualité du service rendu par les préfectures aux personnes étrangères sollicitant un titre de séjour, et promeuvent en particulier, dans la lignée d’un rapport de 2020 de la Cour des Comptes, une simplification du droit des étrangers via une délivrance plus systématique de titres de séjour pluriannuels. La Fédération partage l’essentiel des constats et des propositions formulées dans ce rapport, et plaide pour une amélioration des conditions d’exercice de leur droit au séjour par les personnes étrangères par le biais de mesures immédiates, ainsi que des propositions à plus moyen et long terme.

La première partie du rapport des rapporteurs spéciaux est consacrée à l’analyse de l’exécution budgétaire des programmes 303 « asile et immigration » et 104 « intégration » qui composent la mission Immigration, Asile et Intégration. L’analyse de la Fédération des acteurs de la solidarité de cette exécution est disponible en suivant ce lien.

La seconde partie s’attache à examiner les difficultés relatives aux conditions matérielles de l’instruction des demandes de titres de séjour par les préfectures, en particulier les problématiques d’accès aux préfectures. Les rapporteurs soulignent que le sujet n’est pas nouveau, mais que les difficultés se sont aggravées depuis le début de la crise sanitaire due à l’épidémie de Covid-19, notamment du fait de l’élargissement de l’utilisation par les préfectures des modules de prise de rendez-vous dématérialisés, sans qu’aucune alternative ne soit prévue.

Les rapporteurs relèvent que le cadre juridique du droit des étrangers à évolué ces dernières années : ils mentionnent quelques simplifications (notamment la délivrance de titres pluriannuels dans un nombre accru de cas, la mise en place du passeport talent, la prolongation de la durée de la première attestation de demande d’asile décidée peu avant la fin du premier confinement en 2020) mais jugent que ce mouvement reste « inabouti ». Ils soulignent ainsi, dans la lignée du rapport de la Cour des Compte publié en mai 2020, que « l’architecture générale des titres de séjour repose sur un nombre encore insuffisant de titres pluriannuels ». Le rapport remarque par ailleurs que la recodification du Ceseda, en vigueur depuis le 1er mai 2021, s’est accompagnée de certaines omissions et que plusieurs compléments ont déjà dû être adoptés, « témoignant de l’instabilité récurrente du droit des étrangers ».

Si les rapporteurs regrettent l’absence d’indicateur permettant de rendre compte du délai de traitement effectif des demandes de titres de séjour (ceux disponibles aujourd’hui ne prennent pour point de départ que la date de dépôt du dossier complet en préfecture, invisibilisant dès lors les délais en amont), ils insistent sur deux points :

  • tout d’abord les tensions en matière d’accès à certaines préfectures étaient apparues avant la crise sanitaire. Elles étaient déjà imputées aux modalités de prise de rendez-vous en ligne et se manifestaient notamment par l’apparition d’un phénomène de reventes de rendez-vous, ainsi que par le développement d’un contentieux relatif à l’accès aux préfectures, et non plus uniquement relatif aux décisions de rejet prononcées par les mêmes autorités.
  • Par ailleurs, la crise sanitaire a représenté un facteur aggravant et démultiplicateur de ces difficultés, de nombreuses préfectures ayant fait le choix de mettre en place des modalités obligatoires de prise de rendez-vous en ligne, sans alternative permettant un accueil adapté aux personnes rencontrant des difficultés, et les délais de traitement des dossiers ayant considérablement augmenté. Le directeur général des étrangers en France a indiqué lors de son audition que les services étrangers des préfecture « ont fonctionné à 40% de leur activité normale » durant l’année 2020. En conséquence, le contentieux relatif à l’accès aux préfectures a fortement augmenté, ce qui représente un coût non négligeable pour l’administration. Enfin, il convient de noter que les personnes souhaitant déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour sont particulièrement concernées par les difficultés d’accès aux préfectures, leur situation n’étant pas priorisée par rapport aux autres motifs de demande de titre.

En réponse à ces difficultés, le ministère de l’Intérieur avance deux principaux éléments : une poursuite du déploiement du programme ANEF (administration numérique des étrangers en France) et l’augmentation des moyens humains dédiés aux préfectures. Ces arguments sont cependant à nuancer.

S’agissant des moyens humains, les rapporteurs soulignent que depuis 2016, les effectifs des services étrangers ont crû de 375 ETP tandis que les effectifs globaux des préfectures ont diminué de 1 100 ETP. Toutefois, il convient de souligner qu’il s’agit d’ETP affectés globalement aux services des étrangers, et que ces effectifs ont peu bénéficié aux services responsables de l’examen au séjour et davantage à d’autres services, tels que l’éloignement ou les pôles régionaux Dublin. De plus, on remarque un pourcentage élevé du recours aux vacataires, les préfectures étant contraintes par un plafond d’emploi. Or cette précarisation des emplois n’est pas un « gage d’efficacité », comme le relève les rapporteurs, qui proposent le recrutement de 250 contractuels, dans des conditions qui seront donc plus stables que celles de vacataires.

S’agissant du déploiement du programme ANEF, on notera tout d’abord que ce dernier est progressif, et que dans l’intervalle d’autres modules temporaires ont été mis en place, en particulier la plateforme spécifique pour les ressortissants britanniques et l’application « démarches simplifiées ». Ces dispositifs ne sont pas exempts de problèmes techniques, bien que les rapporteurs saluent un « déploiement encourageant ». Néanmoins, les rapporteurs s’attachent à relever que si la dématérialisation peut être un outil de simplification pour les personnes « à l’aise avec les outils informatiques », elle « pose question lorsqu’elle s’adresse à des étrangers maîtrisant peu les outils informatiques » ou vulnérables et « reporte une partie de la charge administrative sur des tiers ».

Le rapport préconise, à l’instar des recommandations du Défenseur des Droits (voir article sur une décision de juillet 2020 relative à la dématérialisation de l’accès aux préfectures, ainsi que l’avis du DDD publié à l’occasion de son audition par les rapporteurs) et des orientations défendues par la Fédération des acteurs de la solidarité, l’ouverture systématique d’une voie alternative aux procédures électroniques de prise de rendez-vous. La Fédération partage aussi la nécessité de financer le travail indispensable des acteurs associatifs, bénévoles ou professionnel.les, qui assurent une mission essentielle afin de garantir l’accès effectif aux services publics, mais accueille avec davantage de prudence la proposition visant à expérimenter le financement, via un marché public, de l’accompagnement des publics vulnérables ou spécifiques dans la préparation de leur dossier de demande de titre de séjour par les SPADA ou des structures similaires.

Trois mesures d’accompagnement sont recommandées par les rapporteurs : deux concerne la connaissance statistique du phénomène – la définition d’indicateurs permettant d’apprécier la durée totale de traitement d’une demande de séjour et la modification du mode d’enregistrement et de décompte des requêtes devant les tribunaux administratifs pour identifier au sein du contentieux des étrangers, le contentieux relatif à l’accès aux préfectures – et une vise à améliorer les relations entre préfectures et acteurs associatifs à travers la nomination d’un « correspondant, chargé d’organiser des échanges, au moins semestriels, avec les associations représentant des étrangers ». Mme Stella Dupont propose par ailleurs à titre personnel trois compléments que soutient la Fédération :

  • L’attribution d’un document provisoire autorisant le séjour à tout étranger présentant une demande de titre de séjour par voie papier tout comme par voie dématérialisée. L’attestation de dépôt en ligne prévue actuellement ne permet en effet pas de prouver la régularité du séjour sur le territoire, et risque, d’autant plus au regard des délais d’examen des demandes actuels, de provoquer des ruptures de droit.
  • L’installation de points numérique en libre accès (ou accès guidé) dans toutes les préfectures et structures partenaires pour faciliter l’accomplissement des démarches.
  • La garantie d’une réponse par les préfectures, dans un délai raisonnable, à toute question posée par une personne étrangère ou son conseil sur son dossier.

La Fédération des acteurs de la solidarité mène actuellement un travail en lien avec d’autres réseaux et associations afin d’affiner la connaissance partagée relative aux difficultés rencontrées dans l’obtention et le renouvellement des titres de séjour des personnes étrangères. Les résultats de ces travaux auront vocation à être partagé avec les services de l’Etat compétents afin de contribuer à l’amélioration de l’accès au droit au séjour des personnes étrangères, La Fédération défend par ailleurs un élargissement des critères d’admission exceptionnelle au séjour afin de résoudre les situations de non-droit dans lesquelles peuvent se trouver des personnes hébergées et accompagnées au sein de son réseau.