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20 juillet 2020

Décisions du Défenseur des droits relatives aux conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile et à la dématérialisation des demandes de titre de séjour

Saisi par plusieurs associations, dont la Fédération des acteurs de la solidarité, le Défenseur des droits a rendu le 10 juillet 2020 deux décisions relatives aux conditions matérielles d’accueil (CMA) des demandeurs d’asile en France. Dans ces décisions, l’institution rejoint des arguments développés par la Fédération, notamment s’agissant de l’insuffisance de places au sein du dispositif national d’accueil et ses conséquences sur l’hébergement généraliste, ainsi que des conditions d’accueil dégradées des personnes en demande d’asile, en particulier les modalités d’ouverture ou de retrait des CMA. Le Défenseur des droits recommande la mise en place de modalités alternatives de versement de l’ADA et l’adoption de mesures permettant de garantir un accès effectif aux CMA. Dans une troisième décision rendue à la même date, le Défenseur des droits s’intéresse aux difficultés rencontrées par les ressortissants étrangers pour déposer une première demande de titre de séjour ou une demande de renouvellement du fait des procédures dématérialisées mises en places par certaines préfectures.

Dans sa décision n°2020-147, le Défenseur des droits aborde la question de la transformation de la carte ADA en une carte de paiement uniquement, qui limite « fortement la possibilité de disposer d’argent en espèces ». Il insiste sur le fait que l’usage de la carte est limité, et qu’elle n’est pas acceptée par l’ensemble des commerçants. Il note que le système du « cashback », présenté par les services de l’Etat comme un palliatif à l’absence de possibilité de retrait n’est pas satisfaisant : il n’est que peu proposé par les commerçants et il est parfois payant.

Le DDD souligne par ailleurs les difficultés rencontrées par les demandeurs d’asile dans leur vie quotidienne suite à la modification de la carte ADA, compte tenu notamment du fait que la moitié d’entre eux ne sont pas hébergés au sein du dispositif national d’accueil et qu’ils sont nombreux à survivre à la rue ou dans des situations d’habitat indigne. Au-delà du fait que les résultats de l’expérimentation de cette carte en Guyane n’ont pas été rendus publics ou même communiqués aux services du Défenseur des droits, la décision remet en question les objectifs de lutte contre la fraude et de protection des demandeurs d’asile contre des vols présentés par la ministère de l’Intérieur et l’Ofii comme les motivations de la réforme.

Dans sa décision n°2020-150, le Défenseur des droits émet des recommandations relatives à l’ouverture et à la suspension et au retrait des conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, sujets à propos desquels il fait l’objet de nombreuses saisines depuis sa création. Il rappelle la condamnation de la France par la CEDH pour « les conditions d’existence inhumaines et dégradantes de demandeurs d’asile vivant dans la rue »1 et la « saturation notoire » du dispositif national d’accueil, dans lequel moins de la moitié des demandeurs d’asile sont hébergés, les contraignant à « faire appel au dispositif d’hébergement d’urgence, lui-même saturé, se report[er] à des réseaux solidaires ou sur des habitats informels où ils sont par ailleurs exposés à des expulsions à répétition ».

Le Défenseur des droits relève des manquements en terme quantitatif mais aussi en terme qualitatif et met en avant des insuffisances dans l’accompagnement proposé aux personnes en demande d’asile, mais aussi une dégradation des conditions de travail des travailleurs sociaux. De plus, il souligne « de graves défaillances dans la perception de l’ADA », s’agissant à la fois du délai de perception suite à l’enregistrement de la demande d’asile, ainsi que « des procédures abusives de retrait des CMA ». Le Défenseur des droits constate que le droit français relatif aux CMA n’a toujours pas été mis à jour d’évolutions jurisprudentielles datant de 2019 ou du début d’année 2020, que celles-ci émanent du Conseil d’Etat (impossibilité de suspendre ou de retirer les CMA de plein droit), de la CJUE (un manquement grave au règlement ou comportement violent ne peut justifier un retrait même temporaire des CMA ayant trait au logement, à la nourriture ou à l’habillement) ou de la CEDH (cf. décision du 2 juillet 2020).

S’agissant de l’opération de renouvellement des cartes ADA devant avoir lieu avant le 31 août 2020 en raison de l’obsolescence programmée des cartes délivrées avant le renouvellement du marché public correspondant, le Défenseur des droits indique avoir reçu de « nombreux signalements quant à la jouissance effective de l’ADA durant la période transitoire plus ou moins longue de remplacement des cartes ».

Dans ces deux décisions, le Défenseur des droits recommande donc au ministère de l’intérieur de mettre en place une carte mixte, permettant à la fois les retraits et les paiements par carte, ou de prévoir la possibilité de versement sur le compte bancaire de la personne concernée si elle en détient un, ou en espèces à défaut. Il recommande par ailleurs au ministère de l’intérieur et au directeur général de l’Ofii de « veiller à ce que l’effectivité de l’accès aux conditions matérielles d’accueil soit garantie », en augmentant les capacités d’accueil du DNA et en s’assurant de l’effectivité de la perception de l’ADA.

Enfin, dans une troisième décision n°2020-142, le Défenseur des droits constate les impacts extrêmement dommageables de la dématérialisation des procédures de prise de rendez-vous en préfecture pour les démarches de demande ou de renouvellement de titre de séjour des ressortissants étrangers. Il dénonce le fait que « ces procédures dématérialisées aboutissent […] à ce que des étrangers, bien que disposant de l’ensemble des éléments leur permettant de déposer une demande de titre de séjour, se retrouvent en situation irrégulière ou soient maintenus dans cette situation », et souligne que ces difficultés pré-existantes à la crise sanitaire ont été « durablement amplifiées » suite à la période de confinement de mars à mai 2020. Plusieurs recommandations à destination du ministère de l’intérieur sont à ce titre formulées par le Défenseur des droits qui demande à être informé des suites données à ces dernières dans un délai de trois mois.

Les constats réitérés par le Défenseur des droits dans cette décisions rejoignent le sujet plus général de la dématérialisation, et les recommandations déjà émises par l’institution quant à la nécessité de garantir un accès effectif aux services publics, et dès lors d’éviter qu’une démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée.


1 CEDH, 2 juillet 2020, Affaire N. H et autres c. France n° 28820/13