Retour à toute l'actualité

5 avril 2022

Fin de la trêve hivernale au 31 mars : reprise des expulsions locatives et inquiétude des associations de lutte contre les exclusions

Un retour de la fin de la trêve hivernale au 31 mars dans un contexte de tensions fortes sur le parc d’hébergement et de logements

La trêve hivernale vient de s’achever ce 31 mars, alors qu’elle avait été prolongée temporairement les deux années précédentes du fait de la crise sanitaire, jusqu’au 10 juillet en 2020 et au 31 mai en 2021.

Cette fin de la trêve hivernale annonce la reprise des expulsions locatives. Leur nombre avait considérablement réduit en 2020 (8000 ménages concernés), et dans une moindre mesure en 2021 (12 000 ménages concernés), du fait de l’allongement de la période de la trêve et des consignes données fin avril 2021 aux Préfets pour tenter de limiter le nombre d’expulsions locatives et d’éviter les expulsions sans solution de relogement.

Avec ce retour d’une fin de trêve hivernale au 1er avril, et alors que la vulnérabilité socio-économique des ménages les plus précaires a été renforcée du fait de la crise, il est à craindre un effet de rattrapage par rapport aux années précédentes. La Fondation Abbé Pierre craint ainsi de renouer avec les niveaux élevés d’expulsions locatives constatés avant la crise sanitaire avec par exemple 16 700 expulsions locatives réalisées  avec le concours de la force publique (CFP) en 2019, voire même de dépasser ces volumes du fait de l’accumulation des situations restées en suspens jusqu’à aujourd’hui.

Les expulsions locatives viennent fragiliser durablement le parcours des ménages concernés. Comme le souligne la Fondation Abbé Pierre dans une récente étude, près de ¾ des ménages font face à des problèmes de santé ou des difficultés psychologiques liées à l’expérience de l’expulsion, alors qu’environ un tiers d’entre eux n’ont toujours pas retrouvé de logement pérenne plus d’un an après leur expulsion.

Cette année aussi, des consignes sont données pour limiter le nombre d’expulsions locatives, anticiper les solutions de relogement au sein du parc social ou privé et pour mobiliser les capacités d’hébergement, afin d’éviter des mises à la rue sans solution. Néanmoins, la mobilisation des places d’hébergement semble complexe, tant le parc est aujourd’hui saturé, et alors que de nombreuses demandes d’hébergement restent sans réponse. Ainsi, comme l’a rappelé le Collectif des association unies (CAU) le 23 mars dernier lors d’un rassemblement place de la République à Paris, environ 4000 personnes en demande auprès des 115 de France se retrouvent sans solution et dorment à la rue chaque soir.

Dans ce contexte, l’objectif de suppression de 10 000 places d’hébergement en 2022 tel qu’annoncé par l’instruction du 26 mai 2021 relative à la programmation pluriannuelle de l’offre paraît particulièrement malvenu. Les fermetures devraient s’échelonner jusqu’au 31 décembre 2022, avec une répartition des suppressions qui s’effectuera en fonction des remontées effectuées par les services déconcentrés de l’État. La Fédération demande à maintenir le niveau du parc d’hébergement à 200 000 places a minima tant que l’offre de solutions alternatives (dispositifs de logement adapté, logements sociaux accessibles, mesures d’accompagnement social vers ou dans le logement) n’aura pas été développée à hauteur des besoins.

Des consignes données aux préfets dans la lignée de l’instruction du 26 avril 2021, afin de limiter le nombre d’expulsions locatives  

Une circulaire pour préparer la fin de la trêve hivernale a été adressée aux services déconcentrés de l’État le 29 mars dernier. Les consignes données s’inscrivent dans la lignée de l’instruction du 26 avril 2021 relative à la fin de la trêve hivernale 2021, à savoir :

  • Diminuer le nombre de dossiers d’expulsions accumulés impliquant un concours de la force publique (CFP) (le stade le plus avancé de la procédure)
  • Prioriser et échelonner la reprise des CFP à exécuter, en fonction des capacités de relogement et d’hébergement
  • Limiter l’afflux de nouvelles réquisitions de CFP en 2022 par une politique de prévention plus active

Les services de l’État devront faire état du suivi de ces objectifs tous les mois auprès de la DIHAL. L’annexe de l’instruction vient par ailleurs apporter des précisions opérationnelles pour mettre en œuvre ces objectifs.

Concernant les procédures en cours, les services de l’État devront prioriser les CFP en fonction du profil des bailleurs et des locataires concernés. Côté bailleurs, priorité sera ainsi donnée aux CFP impliquant « les petits propriétaires individuels qui ne disposent que d’un seul logement locatif et dépendent de leur loyer pour assurer leurs revenus ». Côté locataires, les CFP à prioriser cibleront les ménages « portant gravement atteinte à leur environnement matériel et/ou humain immédiat » et les personnes qui ont les capacités financières pour assumer leur loyer sans reprendre les paiements, et dans un deuxième temps les « CFP les plus anciens et pour lesquels les dettes locatives sont les plus élevées ».

La prévention des expulsions locatives doit permettre de limiter l’afflux de nouveaux CFP, en anticipant le relogement des personnes concernées. Afin d’assurer ce relogement, l’instruction demande aux Préfets de prioriser les ménages dont les demandes de logement sont actives et dont les CFP sont en cours d’exécution. La circulaire souligne également qu’aucun ménage reconnu prioritaire dans le cadre du DALO ne pourra être expulsé sans relogement sur le contingent préfectoral.

Pour permettre le relogement des ménages, seront mobilisées en priorité les capacités des réservataires de logements sociaux qui ne respectent par leur obligation d’attribution de 25% de logements aux publics prioritaires, ainsi que le contingent préfectoral pour reloger les occupants du parc privé prioritaires au titre du DALO et faisant l’objet d’un CFP. Les bailleurs sociaux et réservataires devront également favoriser les mutations pour limiter les risques d’expulsions et favoriser le maintien dans le logement via la mise en place d’un protocole de cohésion sociale, dès lors que le locataire reprend le paiement du loyer. Le parc privé sera mobilisé via le renforcement des partenariats avec les agences et propriétaires immobiliers, ainsi que via l’intermédiation locative.

Dans le cas où le relogement n’est pas possible, les CCAPEX devront établir la liste des ménages concernés et les orienter vers les SIAO afin que soit proposée une solution d’hébergement.

Enfin, afin de permettre la prise en charge d’un maximum de personnes faisant l’objet d’un CFP -et notamment des personnes qui ne sont pas en contact avec les services sociaux des communes ou des départements, les services de l’État doivent mobiliser les mesures AVDL et les équipes mobiles de prévention des expulsions, lorsqu’elles existent dans les territoires. La coordination entre les services de l’État, ceux des conseils départementaux, de la CAF et des EPCI ou des communes apparait également comme un enjeu afin de débloquer certaines situations de relogement. La circulaire souligne également le rôle des associations caritatives et de bénévoles afin de renforcer les capacités d’aller-vers auprès des ménages visés par une procédure d’expulsion locative.

Si la Fédération s’inquiète fortement de la reprise des expulsions locatives qui alimentent de fait le sans-abrisme, elle peut tout de même saluer les orientations prises dans cette instruction par la Ministre du Logement. La volonté affichée de proposer un logement ou une place d’hébergement afin d’éviter la rue, le rappel de l’objectif de ne pas expulser les ménages reconnus prioritaires DALO et le souhait d’agir en prévention par les moyens d’accompagnement vont dans le bon sens. Néanmoins, la Fédération craint que cette ambition ne se confronte à des possibilités limitées d’action sur le terrain du fait d’une offre limitée de logements abordables, de la suppression des 10 000 places d’hébergement toujours actée à ce jour par le Gouvernement et de moyens d’accompagnement social bien souvent sous dimensionnés au regard des besoins.