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27 juin 2023

Témoignage d’une éducatrice en AEMO

Intervention table-ronde 07 juin 2023 « Métiers du lien, métiers de demain », Talence

Témoignage d’Amandine DORÉ, éducatrice AEMO à Bordeaux

“Témoignage et photographie actuelle de ma profession. Je n’ai pas l’ambition de proposer une analyse théorique, financière ou politique du travail social. Je vous parle d’où je suis, éducatrice spécialisée dans un service d’Action Éducative en Milieu Ouvert.

Un quotidien professionnel en souffrance traversé par diverses évolutions et manques. Il m’apparait primordial de commencer par la question de la clinique, de fait celle de la rencontre éducative : à la base du sens que je donne à mon métier. Cette rencontre éducative n’est pas seulement un contact entre deux acteurs mais c’est toute une relation qui se crée, se transforme, qui avance, parfois recule au fil du temps. Elle varie en fonction de l’espace qui lui est réservé, du temps passé avec autrui.

Accompagner c’est avant tout prendre le temps de l’observation, de la compréhension des difficultés que les familles rencontrent. Le temps des familles n’est pas le temps de nos institutions. J’ai cette impression aujourd’hui d’une charge de travail trop importante qui ne laisse pas ce temps nécessaire. Un nombre de suivis toujours aussi élevé, un trafic routier densifié à Bordeaux qui a pour impact des temps de déplacement plus longs, le nombre de production d’écrits et de reporting plus important.

Pour exercer un métier du lien, il faut être disponible psychiquement. Une nécessité pour être à l’écoute. Les problématiques familiales sont complexes et souvent les situations arrivent dégradées. Ce qui sollicite des connaissances et un savoir-faire professionnel que je ne réussis pas toujours à faire évoluer au rythme de la société, par manque de temps, de formation et/ou de prise d’information. Ce qui me vient de nouveau à questionner la notion de prévention. Un sentiment au fil du temps d’être déconnectée de la réalité sociale des personnes accompagnées.

Si une travailleuse sociale a bien une capacité de résilience, elle ne peut suffire pour répondre au stress quotidien. Accompagner au plus près des besoins des familles demande aux professionnel.le.s de s’adapter et pour ce faire d’avoir le temps d’échanger, de partager cette charge mentale. Seul le temps, la formation et les espaces de réflexion le permettent. L’absence de ces espaces mène au sentiment de solitude, à l’épuisement professionnel et à la perte de sens.

Les solutions doivent être collectives, partagées pour tenter de résoudre des problématiques et éviter de se confronter seul à un état d’anxiété élevé. Le temps semble se perdre dans un système de plus en plus bureaucratisé. Il nous faut à mon sens garder à l’idée la nécessité d’un management humain et compréhensif, structuré sur des valeurs et des compétences spécifiques issues de la connaissance de nos pratiques professionnelles.

Ainsi défendre les intérêts des professionnel.le.s et le sens de notre travail. Si les professionnel.le.s n’ont pas la sensation d’être entendus, soutenus, cela crée de la colère et je me demande : comment peut-on être disponible pour accompagner les familles avec bienveillance lorsque nous sommes nous-mêmes en colère ?

A quoi se rajoute le manque toujours plus grand de réponses institutionnelles dans les prises en charge. Le manque de place dans les lieux d’accueils, dans les services de pédopsychiatrie, d’institutions spécialisées pour ne citer que ceux-là. Nous n’avons plus les moyens d’orienter le public vers les structures adaptées à leur problématique ce qui nous laisse bien souvent l’impression d’être les seuls acteurs dans l’accompagnement avec notre culpabilité de voir des situations se dégrader.

Pour finir, je voudrais aborder l’importance de la formation qui devrait à mon sens être continue tout au long d’une carrière professionnelle. Se nourrir de savoirs, de théorie pour étayer sa pratique professionnelle et faire perdurer les valeurs de l’accompagnement social dans le respect des familles et de leur singularité.”