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11 décembre 2018

Retour sur la première visite d’étude “Mobiles pour l’emploi” à Bristol

« Mobiles pour l’emploi », projet de mobilité européenne organisé par la Fédération des acteurs de la solidarité et soutenu par Erasmus +, vient de franchir une étape importante ! En effet le premier des trois déplacements organisés en Europe pour enrichir et diversifier nos connaissances des pratiques et stratégies de l’inclusion par l’emploi vient de s’achever. Il s’est déroulé à Bristol au sein de la « Salvation Army » (l’Armée du Salut britannique), tandis que les suivants se dérouleront à Bologne en février et à Amsterdam en mai.

Les huit participants à la mobilité et les membres de l’Armée du Salut nous ayant accueilli à Bristol

8 participants, issus de diverses associations du réseau et différents territoires, ont été accueillis au sein de la Salvation Army et plus précisément dans son antenne « Employment Plus », consacrée à l’inclusion par l’emploi. Ils ont pu observer pendant trois jours les pratiques de l’inclusion pour les personnes éloignées de l’emploi déployées dans le territoire anglais et gallois.

Retrouvez ci-dessous, une vidéo qui revient sur la première visite d’étude du projet « Mobiles pour l’emploi », projet de mobilité européenne organisé par la Fédération des acteurs de la solidarité et soutenu par Erasmus +, qui s’est déroulée à Bristol du 19 au 23 Novembre 2018.

Les observations issues de cette mobilité à Bristol ont été exposées lors de la Journée de l’Emploi autour des stratégies territoriales organisée par la Fédération le 29 novembre et feront l’objet d’un rapport à destination de l’ensemble du réseau une fois les trois mobilités passées.

Les différences mais aussi les points communs observés au sein du secteur social britannique permettent à la fois de repérer des points de vigilance comme d’inspiration pour nos propres pratiques.

En effet, le Royaume-Uni est confronté à une faiblesse très marquée de l’engagement de l’Etat en termes de politiques sociales. En outre, l’Etat conçoit son action sociale de manière fortement décentralisée et délocalisée, dépendant principalement des mairies et des autorités locales. Cela conduit à une grande diversité de modèles et de niveaux de financements et par conséquent à des variations importantes en fonction des territoires. Ainsi n’y a-t-il pas d’équivalent à l’Insertion par l’Activité Economique (Insertion par l’Activité Économique) dans un marché de l’emploi dont le faible taux de chômage (4,1%) masque de lourdes problématiques telles que la précarisation de l’emploi et la recrudescence de travailleurs pauvres, s’ajoutant à une invisiblisation d’ampleur de la population économiquement inactive. Cette mise en retrait de l’Etat est d’autant plus palpable que les collectivités locales sont de moins en moins financées. Par ailleurs, le remplacement récent du seul dispositif étatique d’inclusion par l’emploi (le « Work Programme ») par un autre à la cible et au budget réduit de 80% , laisse le secteur social de l’emploi exsangue. En outre, le bénéfice des aides sociales est indexé à des conditions coercitives et punitives et est peu, voire pas, accompagnée par les  « Job Centre + » (l’équivalent de Pôle Emploi). L’insertion vers l’emploi est déléguée en grande partie à des prestataires, dont la Salvation Army fait partie, aux côtés d’acteurs qui n’appartiennent pas nécessairement au secteur non-lucratif. A cela s’ajoute la mise en place progressive du Universal Credit (Crédit Universel), dispositif issu de la fusion des nombreux minimas sociaux, transition dans laquelle les personnes les plus exclues ne sont pas accompagnées, ce qui cause des ruptures importantes en matière d’accès aux droits.

Cependant, malgré la quasi absence de dispositifs d’aide, la très faible structuration du secteur de l’accès à l’emploi, la frugalité de l’investissement public et fatalement la moindre ampleur de l’accompagnement existant, la Salvation Army parvient à rester efficace et à porter des modèles d’accompagnement intéressants.

Voici les principaux points que l’on peut retenir :

  • D’une part, la situation britannique est un exemple extrême de ce à quoi pourraient aboutir les tendances politiques actuelles. Ce constat conforte dans l’importance de la vigilance des associations tant sur le maintien de la place de l’Etat et de son soutien financier dans le domaine de l’insertion que sur la non ouverture des dispositifs d’accompagnement social au secteur privé.
  • L’indépendance financière de l’Armée du Salut dans un contexte ou le peu d’interventionnisme étatique est la norme peut nous inciter à développer l’autonomie financière pour augmenter ses capacités de résilience face au retrait de l’Etat. En effet, si l’Armée du Salut a pu résister dans un secteur fortement affaibli par la fin du Work Programme, c’est d’une part parce que c’est un réseau d’ampleur, réputé, et bénéficiant du soutien financier de la société civile, notamment via la charité.

C’est cette autonomie financière qui leur permet de déployer leur propre programme d’accompagnement global. Celui-ci est non conditionné et indépendant des directives de l’Etat parce qu’autofinancé. En sus, l’affaiblissement des subventions les a récemment conduits à développer une stratégie d’établissement de partenariats privés au niveau national. Une transposition au modèle français pourrait être le développement et l’usage du financement participatif , en complément de partenariats privés.

Sur le fond, un accompagnement global, vers et dans l’emploi :
  • La mise en place d’un accompagnement global, holistique, qui prend en compte tous les freins potentiels à l’emploi. Cela se fait notamment à travers un diagnostic modélisé ayant lieu au bout de 6 semaines. Il a pour but d’identifier les problématiques à travailler pour lever progressivement les freins à l’emploi. Si l’emploi est toujours un horizon, en fonction du profil le but n’est pas nécessairement un retour concret vers l’emploi mais une progression vers l’employabilité.
  • Un accompagnement progressif vers l’emploi, à travers des ateliers et des formations professionnalisantes délivrant des certificats de compétences générales (comme la gestion des risques ; le savoir-faire numérique, etc) ou plus spécifiques (formation d’aide à la personne). A cela s’ajoutent des mises en situation pour que la personne acquière de l’expérience et retrouve de la confiance dans sa capacité à travailler. Cela peut prendre notamment la forme d’un volontariat des personnes accompagnées pendant une ou deux semaines au sein d’une entreprise avec une quantité d’heures de travail adaptée. C’est un rapport au bénévolat différent de la conception française, puisqu’il est sous cette forme perçu d’abord comme un tremplin vers l’emploi. Enfin, cette mise en situation peut se faire sous la forme de « placements payés », où c’est l’association, qui paie directement la personne placée dans l’entreprise. Ces placements payés sont financés par les Fonds social européen et seulement au Pays de Galles.
  • Un accompagnement ancré localement via des « coordinateurs emploi » établis sur quelques structures, et qui bénéficient d’une connaissance des acteurs locaux que ce soit d’autres associations de l’insertion, des associations caritatives ou des entreprises, bien que cela ne soit pas formalisé. En effet, parce qu’ils ne profitent pas d’encadrement formel, ils n’ont d’autres choix que de pratiquer le « knock on the door », c’est-à-dire littéralement aller frapper aux portes des entreprises pour présenter ce qu’ils font et se faire connaitre. De plus ils accompagnent parfois les personnes dans les structures vers lesquelles elles sont dirigées ce qui permet de connaître et se faire connaître des différents acteurs locaux.
  • A cela s’ajoute des temps d’échanges en interne entre les travailleurs sociaux au niveau local pour partager les bonnes pratiques, bien que la régularité de ces échanges varie en fonction des territoires.
  • Cet accompagnement se perpétue dans l’emploi, avec le maintien d’un contact régulier avec la personne lorsque celle-ci est dans l’entreprise ainsi qu’avec l’employeur. Les « coordinateurs emplois » font la médiation entre l’employeur et l’employé pour apaiser les conflits, résoudre des quiproquos. Cela s’effectue de manière graduelle avec plus ou moins d’intensité en fonction des profils et du temps passé dans l’entreprise, c’est-à-dire concrètement dans un premier temps des rendez-vous réguliers puis des appels téléphoniques. Dans le cadre du work programme, cet accompagnement se fait sur une durée de 6 mois minimum.
Sur la forme, un accompagnement pensé autour de la relation de confiance :
  • La façon d’accompagner les personnes a frappé les participants à la mobilité par son aspect particulièrement pragmatique et direct. En effet, l’accompagnement n’est pas tant orienté sur le diagnostic de la personne et de l’état du marché de l’emploi que sur les envies de la personne et la proposition de solutions immédiates. Par exemple est utilisé un logiciel qui leur permet de calculer concrètement ce que les personnes vont gagner s’ils retrouvent un emploi.
  • Cette une manière d’accompagner est horizontale, assez informelle, avec une volonté de bâtir une relation de confiance. Ainsi lors du premier entretien ils veulent éviter que les personnes répètent leur histoire pour la énième fois de manière mécanique et potentiellement incomplète. Ils considèrent qu’ils pourront l’obtenir plus tard dans son intégralité une fois que la confiance sera construite. Le rapport avec la personne est particulièrement soigné, pour faire en sorte que la personne se sente à l’aise et l’encourager à revenir. Cela se traduit par l’absence de mobilier séparateur entre les interlocuteurs, une attention à la chaleur du lieu, une certaine familiarité (usage du prénom réciproque), la convivialité, que ce soit dans les entretiens ou dans les formations. Cela se fait d’autant plus que les lieux où ils reçoivent sont aussi souvent des lieux d’accueil offrant café, nourriture et lien social aux personnes. Un temps conséquent est consacré à chaque personne, ce qui permet de s’adapter aux spécificités de sa situation. Cela se traduit par la volonté de traiter moins de dossiers en même temps, bien que dans les faits cela varie également en fonction des territoires. In fine le but est de ré-humaniser face à des dispositifs d’Etat punitifs, impersonnels et taylorisés.