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21 décembre 2020

Publication d’un nouveau schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés

Le 18 décembre 2020, le ministère de l’intérieur a publié un nouveau schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés (SNADAR) pour la période 2021-2023. Ce schéma a été élaboré par la direction de l’asile de la direction générale des étrangers en France, qui a organisé des groupes de travail regroupant d’autres administrations centrales (DIAIR, DIHAL, DGCS, DGS, Ofii), les services déconcentrés de l’Etat (préfectures, DDCS et DT Ofii) ainsi que des associations ou organisations gestionnaires de lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile et réfugiés. La Fédération des acteurs de la solidarité a participé à ces groupes de travail afin de partager ses éléments d’analyse et ses propositions. La FAS considère que, si le schéma proposé comporte des éléments intéressants, plusieurs facteurs structurels essentiels ne sont pas suffisamment pris en compte pour assurer les deux objectifs affichés du schéma, soit « mieux héberger » et « mieux accompagner ».

Pourquoi ce nouveau schéma ?

Le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés « fixe la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région ainsi que la répartition des lieux d’hébergement qui leur sont destinés » (article L. 744-2 CESEDA). Un premier schéma national avait été adopté pour la période 2015-2017. Depuis 2017, la répartition des places du DNA était définie par des instructions publiées en fin d’année pour l’année suivante.

Un des objectifs principaux du nouveau schéma est de permettre un rééquilibrage territorial, à la fois entre l’Ile-de-France et les autres régions métropolitaines (la région francilienne enregistrait 46% de la demande d’asile en 2019 contre seulement 20% des capacités d’accueil du DNA), et infra-régional, entre les centres métropolitains et le reste des territoires d’une même région. Le schéma propose donc une orientation régionale, avec offre d’hébergement, qui s’appuie sur une création de 3 000 places CADA et 1 500 places de CAES, centres d’accueil et d’examen des situations, utilisées comme un dispositif « sas ». Ce système s’accompagne de la déconcentration de la gestion des places du DNA : les directions territoriales de l’Ofii et les services déconcentrés de l’Etat deviennent responsables de la gestion de la quasi-totalité des places du DNA (hors des places « spécialisées » dans l’accueil de personnes victimes de traite ou femmes victimes de violences ou personnes LGBT, et hors places CPH).

Quelle sont les objectifs de répartition des demandeurs d’asile sur le territoire ?

L’article R. 744-13-1 du CESEDA indique que le SNADAR « fixe, tous les deux ans, la part des demandeurs d’asile devant résider dans chaque région, hors Outre-Mer. Cette répartition tient compte des caractéristiques démographiques, économiques et sociales, ainsi que des capacités d’accueil de chaque région ». Les critères retenus par la DGEF sont les suivants : la population, le PIB/habitant, le taux de chômage et les capacités d’accueil du DNA (hors CPH) sur la région.

Région % enregistrement demande d’asile (basé sur moyenne février 2019-février 2020) Cible de rééquilibrage
AURA 9% 13%
BFC 2% 5%
Bretagne 2% 5%
CVDL 3% 4%
Grand Est 9% 11%
HDF 5% 5% (cible)
IDF 46% 23% (excédentaire)
Normandie 3% 5%
NA 4% 9%
Occitanie 5% 7%
PDL 7% 7% (proche cible)
PACA 6% 6% (proche cible)

 

Si le schéma s’applique à partir du 1er janvier 2021, la mise en place de l’orientation régionale directive est présentée comme étant progressive :

  • 1ère phase – premier trimestre 2021 : 1 000 orientations mensuelles
  • 2ème phase – mars à fin 2021 : 1 300 orientations mensuelles
  • 3ème phase – fin 2021 : bilan pour évaluer la montée en puissance sur les années suivantes pour atteindre la cible de 2 500 orientations par mois (cible établie sur la base d’un niveau de la demande d’asile équivalent à celui constaté en 2019).

Le détail des objectifs chiffrés de l’orientation régionale et de leur mise en place progressive par région peut être retrouvé pages 21 et 22 du schéma.

Comment l’orientation régionale fonctionnera-t-elle ?

Le principe est que l’orientation régionale pourra être proposée dans toute région « excédentaire », de manière aléatoire, à toute personne y faisant enregistrer sa demande d’asile. En 2021, elle ne sera proposée qu’à des personnes faisant enregistrer leur demande d’asile en Ile-de-France, cette dernière étant la seule région « excédentaire ». Si la personne accepte l’orientation, elle se verra délivrer un bon de transport par l’Ofii et disposera de 5 jours pour se rendre dans le CAES de destination.

Le CAES jouera un rôle de « pivot » ou « sas » : il accueillera les personnes orientées depuis une région excédentaire pour une durée limitée (un mois) avant que ces personnes ne soient réorientées, par la DT Ofii, vers une place de CADA ou d’HUDA de la région. Le CAES est donc l’instrument du double rééquilibrage visé : au niveau national, entre régions « excédentaires » et régions « déficitaires » et au niveau infra-régional, après orientation « post CAES ». Un nouveau cahier des charges CAES sera publié et devrait définir à la fois des missions d’accueil de personnes qui n’ont pas encore fait enregistrer leur demande d’asile (mission des CAES tels qu’ils étaient définis jusqu’à présent), ainsi que l’accueil des personnes ayant accepté cette orientation régionale (mission de « sas » prévue par le nouveau SNADAR).

En cas de refus de l’orientation régionale dès le passage en GUDA sans motif jugé « valable » (la validité sera évaluée par l’Ofii), la personne concernée se verra refuser les conditions matérielles d’accueil (ADA et offre d’hébergement), elle sera domiciliée dans la SPADA par laquelle elle est passée pour obtenir son rendez-vous au GUDA. Si la personne accepte l’orientation en GUDA mais ne se rend pas dans le délai imparti au CAES de destination, elle se verra retirer les conditions matérielles d’accueil et restera domiciliée au CAES de destination.

La Fédération s’inquiète de la capacité qu’auront les CAES à assurer un taux de rotation d’un mois, celui-ci étant très étroitement dépendant de la disponibilité de places CADA et HUDA au sein de la région du CAES de destination, alors que l’augmentation du nombre de places au sein du DNA reste inférieure aux besoins d’hébergement des demandeurs d’asile. Par ailleurs, l’articulation des missions des CAES et des autres dispositifs d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile devra être très clairement définies afin d’éviter des ruptures dans l’accès aux droits des personnes. De plus, le choix de ne créer aucune place d’hébergement des demandeurs d’asile en Ile-de-France exige la réalisation d’objectifs ambitieux s’agissant du nombre d’orientations mensuelles à assurer. Enfin, la FAS regrette que l’articulation du dispositif national d’accueil avec les dispositifs d’hébergement et d’accès au logement généralistes ne soit pas abordée dans le schéma, notamment au regard de l’impact sur l’hébergement généraliste que pourra avoir cette orientation régionale directive.

« Mieux héberger » et « mieux accompagner » : les objectifs affichés du SNADAR

Les autres objectifs affichés du schéma sont de « mieux héberger », soit atteindre un meilleur taux d’hébergement des demandeurs d’asile qui est demeuré en dessous de 50% pour l’année 2019, à l’instar des années précédentes, et « mieux accompagner », soit permettre une meilleure prise en charge des vulnérabilités et renforcer l’accès aux droits des personnes en demande d’asile et réfugiées.

S’agissant du taux d’hébergement des demandeurs d’asile, le schéma est basé, comme détaillé plus haut, sur l’orientation régionale directive. Le SNADAR compte par ailleurs largement sur la réduction des délais de procédure d’asile, qui doit être atteinte à travers le renforcement des effectifs de l’Ofpra et de la CNDA qui a eu lieu en 2020. On remarquera toutefois que la crise sanitaire, même si elle s’est traduite par une baisse significative de la demande d’asile, a aussi restreint la capacité de traitement de la demande d’asile par l’Ofpra et la CNDA et que l’évolution du délai de la demande d’asile reste donc incertaine.

Un autre facteur qui doit permettre d’atteindre un meilleur taux d’hébergement est celui de la « fluidité » du DNA, soit la facilitation des sorties de dispositifs DNA de personnes qui ne sont plus en demande d’asile ou qui ne relèvent pas d’une prise en charge par un CPH. Trois leviers de fluidité sont identifiés par le SNADAR : l’accès au logement des bénéficiaires d’une protection internationale, les transferts vers d’autres pays européens des personnes placées sous procédure « Dublin » et l’éloignement du territoire des personnes définitivement déboutées de leur demande d’asile. La FAS remarque cependant que les objectifs de mobilisation de logements restent insuffisants par rapport aux besoins et que les difficultés relatives à la fois au contexte global des difficultés d’accès à un logement abordable en France et aux problématiques spécifiques qui peuvent être rencontrées par les personnes réfugiées ne font pas l’objet de réponses concrètes dans ce schéma. De plus, la question des personnes faisant l’objet d’une régularisation à un autre titre que l’asile et de leur accès au logement n’est pas abordée dans le schéma alors qu’elle représente un enjeu essentiel, s’agissant de l’accès aux droits des personnes concernées, mais aussi de la fluidité des dispositifs du DNA.

Enfin, la mise en place du schéma s’accompagne de la création de 3 000 places CADA et 1 500 places de CAES en métropole, hors Ile-de-France, et 200 places de CPH, en Ile-de-France uniquement, ainsi que d’une réflexion autour de la simplification du parc DNA qui pourrait permettre la transformation de places HUDA en places CADA dans le cadre de la mise en place de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens. La question de l’accueil en Outre-Mer est renvoyée à une “feuille de route spécifique” dont l’adoption est annoncée au premier semestre 2021. Si la FAS salue une création de places, après une année 2020 sans augmentation des capacités du parc DNA, ainsi que le fait que des places de CADA aient été préférées à des places HUDA, elle regrette toutefois que ces créations de places restent dans des proportions insuffisantes par rapport aux besoins. Ce sous-dimensionnement structurel du parc DNA impacte les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, les conditions d’intégration des personnes réfugiées ou régularisées à un autre titre que l’asile et a aussi des répercussions sur l’hébergement généraliste. Par ailleurs, la FAS considère qu’une simplification du parc DNA est souhaitable mais restera vigilante à ce qu’elle ne se traduise pas par une nouvelle baisse des prix de journées qui sont déjà insuffisants par rapport aux besoins d’accompagnement des personnes.

Concernant l’accompagnement des demandeurs d’asile et des réfugiés, le schéma évoque le « plan vulnérabilités » qui devrait être publié au début de l’année 2021 et qui prévoit des actions de formation, la création de places spécialisées pour femmes victimes de violences et personnes LGBTI, et la mise en place d’un rendez-vous santé, dispositif prévu pour pallier l’entrée en vigueur du délai de carence dans l’accès à la PUMA des demandeurs d’asile et qui sera expérimenté sur trois territoires en 2021. Le schéma indique par ailleurs l’adoption de mesures simplificatrices d’accès aux droits et le début de travaux relatifs à la lutte contre la fracture numérique. Si plusieurs de ces actions peuvent constituer des axes de travail intéressants et essentiels, la FAS considère toutefois comme indispensable un travail en profondeur relatif au niveau et à la qualité des prestations au sein des lieux d’hébergement des demandeurs d’asile et réfugiés, qui doivent s’accompagner d’un financement adapté. La Fédération continue de déplorer la mise en place de mesures restrictives à l’accès aux soins de santé des demandeurs d’asile et personnes étrangères de manière générale. De plus, la problématique de l’accès aux préfectures n’est pas abordée, alors qu’elle demeure un point de blocage dans les parcours d’accès aux droits des personnes. Enfin, alors que de nombreuses procédures doivent être dématérialisées dans les années à venir, la stratégie d’accès et d’accompagnement au numérique, à la fois pour les personnes concernées et les travailleurs sociaux qui les accompagnent, semble manquer d’ampleur au regard des besoins existants.

Quelles sont les principales propositions de la Fédération des acteurs de la solidarité ?

  • Mettre en place une programmation pluriannuelle d’ouverture de places de centres d’accueil pour demandeurs d’asile et prévoir l’ouverture de crédits d’investissements pour ces dispositifs.
  • Augmenter de manière significative les moyens dédiés au premier accueil (SPADA) et à l’accompagnement des demandeurs d’asile et réfugiés dans les différents lieux d’hébergement (CAES, CADA, HUDA, CPH) sur la base d’un travail relatif aux besoins d’accompagnement des personnes et du niveau et de la qualité des prestations correspondantes.
  • Assurer un pilotage interministériel de l’articulation entre le dispositif national d’accueil et l’hébergement généraliste, en particulier s’agissant des situations de campements et de squats, notamment en région Ile-de-France, ainsi que des questions de sorties de dispositifs. Traduire ce pilotage en une gouvernance territoriale, associant les services de l’Etat, les acteurs de la veille sociale, de l’insertion, de l’hébergement et du logement.
  • Adopter une approche basée sur les besoins des personnes concernées, prenant en compte la dimension de parcours, afin d’éviter des situations de ruptures, notamment des sorties sèches de dispositifs, qu’elles concernent des personnes bénéficiaires de la protection internationale ou des personnes définitivement déboutées de leur demande d’asile.
  • Elargir les critères d’admission au séjour à titre exceptionnel ou humanitaire (a minima appliquer les critères existants de manière systématique) et adopter des mesures facilitant l’accès aux préfectures et de mesures de simplification de l’accès aux droits des personnes étrangères.