22 mai 2017
Réunis en Assemblée Générale le jeudi 18 mai à Gdansk, les adhérents de la FEANTSA ont adopté une résolution affirmant leur attachement à une approche inclusive de l’accueil et de l’hébergement, sur proposition des membres de la FEANTSA en France.
1. Contexte
L’arrivée récente de migrants venus chercher une protection en Europe est conséquente et soulève des questions quant à l’organisation de leur accueil et de leur intégration. Mais elle ne peut être assimilée à une arrivée massive si l’on met les chiffres en perspective : en Europe, en 2016, le nombre de demandeurs d’asile accueillis représente 0,16% de la population européenne, soit l’équivalent de 1.200.000 demandes[1], et le nombre de personnes ayant bénéficié de la protection internationale est de 710.000, dont la moitié de Syriens[2]. L’arrivée de nombreux demandeurs d’asile a surtout révélé les faiblesses structurelles au niveau européen et des Etats en matière d’accueil. L’absence de politique intégrée sur les questions d’asile et de migrations au sein de l’espace Schengen, espace qui permet en théorie la libre-circulation des personnes, mène à une gestion de crise permanente et à l’improvisation de solutions de court terme qui ne permettent pas un accueil suffisamment digne ni ne prévoient l’intégration durable de ces personnes sur le territoire européen. S’ajoutent à ces faiblesses européennes la tension structurelle que connait le secteur de l’hébergement et du logement dans la plupart des Etats européens. Le manque de places rend l’accueil des demandeurs d’asile encore plus difficile, et génère une logique délétère de concurrence des publics.
Des forces politiques de plus en plus puissantes en Europe surfent sur cette situation et leur progression dans les opinions publiques influence les choix gouvernementaux qui sont court-termistes et de plus en plus restrictifs à l’égard des demandeurs d’asile et des migrants en général. Cela conduit à faire peser la responsabilité de l’accueil sur des pays qui ne peuvent répondre correctement à l’ensemble des demandes. Se développe en outre une logique de suspicion généralisée à l’égard des demandeurs d’asile, ajoutant un regard stigmatisant à un parcours déjà difficile. L’absence de vision politique, tant au niveau européen qu’à l’échelle des Etats, et l’absence d’investissement à long terme sur l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale inquiète les acteurs de l’accueil et de l’hébergement.
2. Conséquences sur le secteur de l’hébergement / de l’accueil
La mise en concurrence entre les publics se joue à un double niveau : entre les personnes sans-abris migrantes et non-migrantes d’une part, et entre les migrants avec différents statuts administratifs d’autre part.
Les procédures permettant l’accueil des demandeurs d’asile relocalisés sont d’une grande complexité et souvent très longues, du fait de l’échec à mettre en place un mécanisme permanent et obligatoire en Europe. Ce dernier permettrait pourtant une plus grande solidarité dans la répartition de l’accueil sur l’ensemble du territoire européen et pourrait être orienté avant tout sur l’intégration des personnes. Il s’agirait de permettre notamment l’accès à l’emploi et aux formations professionnelles ainsi que l’apprentissage de la langue dès l’arrivée dans le pays d’accueil.
Les structures d’hébergement font face à une demande accrue, de la part des pouvoirs publics, de participation aux politiques de retour qu’ils engagent, encouragés d’ailleurs par la commission européenne. Il est demandé implicitement ou explicitement à de nombreuses associations d’effectuer un « tri » entre les publics en fonction de leur situation administrative. Ces demandes vont à l’encontre des principes de notre secteur et sont souvent contraires au cadre légal prévu pour l’accueil des personnes mais elles ont également un impact néfaste sur le travail social des associations de solidarité, dont les missions se voient détournées au profit d’un contrôle des personnes, incompatible avec le nécessaire lien de confiance qui doit être garanti entre une personne et un intervenant social.
On demande aux associations de laisser de côté les personnes en situation irrégulière, incluant par exemple les demandeurs d’asile déboutés, les migrants en transit, les enfants dont les « meilleurs intérêts » sont laissés de côté malgré toutes les conventions internationales, ou les femmes victimes de violence domestique qui ont fui leur domicile mais dont le statut administratif dépend de leur relation avec leur partenaire. Nombre de ces personnes restent sur le territoire européen parce que les procédures de retour sont coûteuses et dépendent d’accords de réadmission avec les pays tiers. Ces requêtes ont en outre un impact négatif sur le travail social des associations dont la mission se dénature en raison de leur obligation de suivre ces personnes. Cela n’est pas compatible avec la confiance qui doit être établie entre une personne et un travailleur social.
Les associations n’ont pas assez de moyens pour faire face aux besoins, tant en matière d’hébergement que d’accompagnement auprès de ces publics. Les besoins fondamentaux de ces personnes, dont un grand nombre sont vulnérables, sont relayés au secteur caritatif qui ne peut faire face à la demande malgré leur bonne volonté et celle des citoyens (alimentation, transport, vêture, hygiène, santé …).
Nous observons par ailleurs que plusieurs pays européens développent des dispositifs spécifiques, contournant le droit commun, qui dans certaines situations ne respectent pas les droits fondamentaux des migrants ni les procédures de demande d’asile prévues par la loi. Les procédures « ad hoc » mises en place prévoient parfois d’identifier et de contrôler les migrants, en dehors de tout cadre légal et des missions du travail social.
Si en théorie les demandeurs d’asile placés sous la procédure de Dublin devraient bénéficier de conditions matérielles d’accueil, les procédures spécifiques et contraignantes mises en place par les États membres compliquent leur accès à leurs droits et retardent leur accès à la reconnaissance de leur droit à la protection.
Dès lors, certains demandeurs d’asile sont privés de conditions matérielles d’accueil, alors que ces demandeurs d’asile ne retournent pas dans la plupart des cas dans l’État responsable de leur demande.
L’inefficacité du système de l’accueil et l’absence de priorité politique donnée à l’intégration des nouveaux arrivants placent les demandeurs d’asile et les bénéficiaires de protection internationale dans des situations de sans-abrisme, ce qui engendre une saturation croissante du système de l’hébergement.
L’accueil des mineurs non accompagnés est également très problématique dans beaucoup d’Etats européens ou leur statut de migrant prime sur leur statut d’enfant avec des incidences majeures en termes de suspicion à leur encontre et de violation de leurs droits fondamentaux. Il s’agit pourtant pour chaque Etat d’assurer leur protection, dans le cadre de leurs engagements internationaux, notamment du respect de la convention internationale des droits de l’enfant.
3. Pour une approche inclusive de l’hébergement
Le secteur de l’hébergement et de l’accompagnement social ne souhaite pas s’associer aux politiques qui mettent en concurrence les publics et qui demandent de trier entre les « bons » et les « mauvais » migrants. Non seulement parce qu’il s’agit du respect des droits fondamentaux des personnes, mais aussi parce que seule une approche inclusive peut contribuer à l’intégration de ces nouveaux publics à moyen et long terme. Au contraire, leur cantonnement à des dispositifs spécifiques et à des conditions de grande précarité nuisent à leur intégration dans la société. Afin de développer cette approche inclusive, nous demandons aux institutions européennes et aux Etats :
– De réaffirmer le droit de chacun d’accéder à un accueil et un accompagnement quel que soit son statut administratif. Pour les demandeurs d’asile et les bénéficiaires de protection internationale, ceci implique la garantie du respect du principe de non-refoulement, et d’autres principes inscrits dans la convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention de Genève) et dans le droit européen sur l’asile et par conséquent le respect de la loi : celui du bénéfice des conditions matérielles d’accueil permettant aux demandeurs d’asile de ne pas dormir à la rue, ou dans un hébergement inadapté, et d’être accompagné dans leur procédure de demande d’asile.
– La protection des associations de solidarité gérant les services sociaux et médico-sociaux ainsi que de leurs salariés, qui n’ont pas à être impliqués dans des politiques qui mettent en cause leurs principes de solidarité et de respect des droits humains. Ils n’ont pas à subir de pressions pour fournir des données qui mèneraient à des expulsions ou pour refuser les personnes sans statut légal.
– Le renforcement des moyens de l’hébergement ainsi que le développement de solutions de logement,accompagné si nécessaire, dans le parc privé et public, pour favoriser l’intégration des publics accueillis. Cela doit passer tant par une remise en cause des politiques d’austérité imposées aux Etats que sur la simplification des fonds européens destinés à soutenir l’accueil et l’intégration des migrants. Une augmentation structurelle des moyens au secteur est nécessaire afin d’assurer un accompagnement de qualité, en portant une attention particulière aux publics vulnérables et à l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale. Elle permettra également d’améliorer les capacités de l’administration à traiter les demandes.
– Que les Etats n’appliquent pas automatiquement la procédure Dublin sans un examen de la situation individuelle des personnes et prenant en compte les situations de vulnérabilité. Il s’agirait pour les Etat de garantir l’accès au territoire européen, l’enregistrement des demandes d’asile ainsi que l’accès aux conditions matérielles d’accueil pour toutes les personnes en demandes de protection, y compris les demandeurs d’asile placés sous « procédure Dublin ». Les Etats doivent pouvoir parallèlement et conformément au règlement Dublin, mobiliser leur faculté d’utiliser la « clause discrétionnaire » du règlement qui leur permet, sans attendre un délai de 6 mois, de statuer sur l’examen d’une demande de protection internationale.
– La garantie de l’accès aux services basiques, quel que soit le statut administratif. Ces services basiques devraient inclure la nourriture, les soins de santé, l’hébergement et d’autres services d’aide aux personnes sans domicile, tels que des installations sanitaires, des services de blanchisserie et des espaces de stockage. Les autorités nationales et locales doivent mettre les ressources financières et humaines nécessaires à la disposition des organisations travaillant avec les personnes sans domicile afin de leur permettre de travailler effectivement avec toutes les personnes victimes de sans-abrisme, dont certains immigrants.
Dans un espace de circulation commun, il nous faut des règles et une politique commune en matière d’accueil des demandeurs d’asile, des migrants et d’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale. Nous demandons donc :
– De mettre fin au système en place qui est inefficace – la réforme proposée par la commission européenne relative au règlement Dublin va dans le sens d’un durcissement du système en le rendant encore plus punitif à l’égard des personnes qui ne répondent pas aux critères pour bénéficier de la protection internationale dans le premier pays européen d’entrée et qui ont déménagé dans un autre État membre. Ce système menace en outre les conditions de vie des nouveaux arrivants et n’encourage pas le partage des responsabilités entre les pays européens.
– De le remplacer par un système respectueux de la charte européenne des droits fondamentaux et des obligations internationales des Etats en matière de respect des droits humains. Ce nouveau système doit permettre aux demandeurs d’asile d’accéder au territoire européen, d’équilibrer la prise en charge des demandeurs d’asile, de mieux prendre en compte le choix des personnes pour favoriser leur intégration et de mettre un terme aux sanctions infligées aux demandeurs d’asile en mouvement secondaire.
– De mettre en place des systèmes sûrs et juridiques pour faciliter la protection. Ceci inclut des programmes de réinsertion et d’admission humanitaire, des visas humanitaires, et des programmes de parrainage privé. Par ailleurs, il importe de développer des procédures de réunification familiale plus efficaces et inclusives et d’encourager l’ouverture des programmes de migration de la main-d’œuvre et d’échanges en matière d’éducation aux réfugiés.
– La réforme du paquet asile proposée actuellement par la Commission européenne va dans le sens d’un affaiblissement des standards de protection des réfugiés et des demandeurs d’asile en Europe et d’un renforcement de la logique de suspicion et de la répression à leur encontre. Nous souhaitons au contraire que les conditions d’accueil soient harmonisées par le haut pour équilibrer l’arrivée des réfugiés, améliorer leurs conditions d’accueil et favoriser l’intégration des primo-arrivants.
– Dans le cas où les Etats fourniraient les conditions d’accueil en nature, nous demandons que la qualité de des prestations d’hébergement respecte les conditions de dignité et de décence. Lorsque les conditions sont proposées sous forme d’allocations financières, leur montant doit pouvoir assurer un niveau de vie adéquat et garantir la subsistance, ce qui est difficilement le cas dans les allocations proposées actuellement par les Etats membres. La solution d’hébergement proposée doit également tenir compte de la stabilité nécessaire aux demandeurs d’asile pour ne pas les mettre en danger par rapport aux obligations qu’ils doivent remplir au regard de leur procédure d’asile.
Les membres de la FEANTSA sont en faveur d’une approche inclusive de l’accueil et de l’hébergement des migrants en Europe et continueront de demander aux institutions européennes et aux États membres de suivre cette direction.
[1] Eurostat, Asylum in the EU – Member States 1.2 million first time asylum seekers registered in 2016, http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/7921609/3-16032017-BP-EN.pdf/e5fa98bb-5d9d-4297-9168-d07c67d1c9e1
[2] Eurostat, Asylum decisions in the EU – EU Member States granted protection to more than 700 000 asylum seekers in 2016 http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/8001715/3-26042017-AP-EN.pdf/05e315db-1fe3-49d1-94ff-06f7e995580e
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