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26 avril 2018

Parcours de sortie de la prostitution : réagir pour développer de véritable alternatives

Lors des débats autour de la loi du 13 avril 2016, la Fédération des acteurs de la solidarité a été à l’origine d’amendements – adoptés – visant à faire du « parcours de sortie de la prostitution » un « parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle ».

Un parcours qui pourrait être un levier d’insertion important et pertinent

Ce détail a son importance car là est l’enjeu fondamental : proposer des alternatives à des personnes qui en plus d’être sous emprise psychologique sont également dans une forme de dépendance économique à des réseaux ou des personnes. Il faut leur donner les moyens de se sortir de cette situation et donc de s’insérer autrement dans la société, ce à quoi vise le parcours instauré par la loi de 2016. S’il reste précaire, il répond à deux enjeux fondamentaux : l’accès à un titre de séjour et une allocation financière permettant d’entamer un parcours d’insertion. Cependant, les moyens financiers dédiés à cette politique sont aujourd’hui grandement insuffisants, ce qui empêche qu’il puisse bénéficier largement aux personnes en situation de prostitution. Une situation qui s’explique notamment par un manque de volonté politique ainsi que le durcissement des politiques migratoires. La Fédération des acteurs de la solidarité alerte sur le besoin d’apporter des réponses urgentes à cette situation, sous peine de vider le volet social de la loi de sa substance, ce qui en affaiblirait considérablement la légitimité aux yeux des acteurs sociaux et surtout des personnes souhaitant sortir de la prostitution.

Des moyens financiers insuffisants qui donnent lieu à une mise en œuvre disparate de la loi sur les territoires, liée aux volontés individuelles et à la mobilisation des associations
  • La temporalité de la mise en œuvre du parcours de sortie est dépendante de la bonne volonté des préfet-ètes, et du poids des délégué-e-s départementales aux droits des femmes. Dans certains territoires ruraux on peut comprendre que les acteurs ne soient pas prêt-e-s et que le sujet soit moins pressant. Mais nous il est incompréhensible que certaines grandes villes comme Lille, Lyon ou Marseille les choses ne soient pas enclenchées, situation qui témoigne sans doute du peu de volonté de l’Etat à mettre en œuvre le volet social de la loi de 2016 dans ces territoires.
  • Les possibilités de financements pour les associations diffèrent selon les territoires et la coordination des acteurs. Cela a un impact sur l’accompagnement qui peut être fourni : l’hébergement en amont et après l’entrée dans le parcours n’est pas prévu spécifiquement par la loi, or le secteur de l’hébergement est en tension  ans de nombreuses villes. L’ouverture de places dédiées dépend donc de la bonne volonté des Direction départementale de la Cohésion sociale, en fonction de leur sensibilité au sujet et de leurs liens avec les associations agréées sur le territoire. Or il y a une forme de contradiction à demander aux personnes présentant un dossier de parcours de sortie d’avoir déjà arrêté la prostitution, sans prévoir explicitement que les personnes soient hébergées en amont. Il faudrait au contraire que la personne soit dans un environnement stable pour préparer son dossier et s’engager dans une démarche d’insertion.
  • Une mise en œuvre du parcours de sortie différente selon les territoires : en matière d’accès à Pôle emploi, de modalités pour accéder au titre de séjour, ce sont encore une fois davantage les habitudes des acteurs locaux que les textes de loi qui déterminent les conditions de mise en œuvre du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle. Une situation d’autant plus problématique du fait des nombreux préjugés dont que subissent les personnes en situation de prostitution, et qui peuvent mener à des décisions et comportements discriminatoires.
  • La non-prise en compte du coût de l’accompagnement : le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle est une nouvelle mission pour les associations, dans un contexte de resserrement de leurs budgets, notamment pour les Centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Or la plupart du temps aucun financement supplémentaire n’est prévu pour financer le coût de cet accompagnement, au-delà de la formation qui a eu lieu de manière importante en 2017 – mais toujours insuffisante.  Il  est à noter qu’au vu des délais importants qui existent dans l’obtention de l’APS suite à l’entrée dans le parcours, l’AFIS est parfois versée très tard, et avancée par les associations ce qui génère également des coûts.
  • Un parcours précaire : la durée du titre de séjour et le faible montant de l’APS ne permettent pas une insertion optimale des personnes concernées. En effet, l’accès à un certain nombre de formations n’est pas possible avec un titre de séjour de 6 mois, et ne facilite pas l’accès à l’emploi. De plus, la perspective d’un renouvellement tous les 6 mois pose également le risque de bloquer la personne dans le court terme alors que son insertion et le dépassement des traumatismes subis nécessitent de se projeter à long terme.

A ces disparités s’ajoutent la baisse des financements actée en juillet 2017 et confirmée dans le PLF 2018, qui a grévé la capacité d’actions des associations. Cette situation risque de s’aggraver avec la réforme de la tarification des Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, qui aura pour conséquence de réduire les coûts d’accompagnement et donc la capacité des associations à agir en direction des publics les plus vulnérables, dont font partie les personnes en situation de prostitution et/ou victimes de la traite des êtres humains. Pour permettre au parcours de sortie de la prostitution de se déployer de manière importante, il faut doter les associations de moyens supplémentaires conséquents, ainsi que les services de l’Etat en charge de sa mise en œuvre. Il ressort en effet que les déléguées départementales aux droits des femmes sont très seules pour travailler au déploiement du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle.

Nous faisons le constat que lorsque le parcours de sortie bénéficie d’une forte impulsion politique et de moyens financiers, il est positif même s’il est encore tôt pour en analyser les conséquences à long terme. Mais nous alertons sur l’urgence de se saisir de deux problématiques :

  • Le risque d’épuisement des associations, faute de moyens et de soutien suffisants pour mettre en œuvre la lois. Elles regrettent le décalage qui existe entre la mobilisation qui leur est demandée et le manque de répondant des pouvoirs publics, qui s’ajoute à la précarité du statut proposé dans le cadre du parcours. Les associations ne peuvent accompagner des personnes qui sont contraintes de rester à la rue alors que leur vulnérabilité est particulièrement importante. S’ajoute à cette situation la tension financière dans le secteur de l’hébergement qui limite voire annule la capacité des associations à ajouter de nouvelles missions à leur activité.
  • Le risque de tromper les personnes en situation de prostitution sur l’opportunité de ce parcours, qui est le plus grave. Cette loi suscite des espoirs et il serait profondément cynique de les décevoir. Cela traduirait un profond désintérêt des personnes situées les plus à la marge de la société française et serait révélateur du peu d’importance accordé à la question de la précarité, qu’elle soit économique ou administrative, souvent les deux dans le cas de ces personnes.

Propositions :

  • La Fédération des acteurs de la solidarité demande que soit réaffirmée, au plus haut niveau de l’Etat, la volonté de mettre en œuvre cette politique dans tous les territoires et de manière homogène, dans le respect des droits des personnes selon la loi en matière d’accès au séjour, à l’emploi, à la formation, etc. Cela doit également permettre un examen des dossiers en conformité avec ce qui est prévu par la loi ;
  • Un financement adéquat qui permette de répondre aux besoins d’hébergement, par la création de places dédiées, et d’accompagnement des personnes par les associations ;
  • L’abrogation des arrêtés anti-prostitution qui existent toujours dans certaines communes et sont en totale contradiction avec l’abrogation du délit de racolage passif prévu par la loi de 2016 ;
  • La poursuite et l’amplification des efforts en matière de formation des acteurs et de prévention en direction des jeunes.