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3 juin 2015

L’examen du projet de loi asile au Sénat : des reculs historiques

Le projet de loi désormais intitulé « projet de loi portant réforme du droit d’asile » vient d’être voté solennellement le 26 mai dernier par les sénateurs.

La FNARS constate de graves reculs et une atteinte aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile et plus particulièrement des déboutés. La FNARS se félicitait pourtant du choix du gouvernement de présenter deux textes distincts sur l’asile et sur l’immigration. Cette distinction a été balayée par les Sénateurs dans l’ajout de mesures concernant l’éloignement des déboutés du droit d’asile qui mettent à mal notre système de solidarité nationale et notre principe d’intervention sociale à l’égard des personnes en situation de précarité sociale.

Pour rappel, la FNARS s’est engagée depuis presque deux années sur la réforme du droit d’asile. A travers la mobilisation de son réseau et la mobilisation collective d’autres associations de solidarités et de défenses des droits de l’Homme, certaines dispositions du texte pouvaient être considérée comme de véritables avancées bien qu’un certain nombre de disposition restaient encore problématiques. Comme avancées, on pouvait notamment saluer la garantie d’un doit à l’accompagnement juridique et social de tous les demandeurs d’asile, quel que soit le lieu d’hébergement et la suppression de toutes les mesures de contrôles des demandeurs d’asile à l’intérieur des établissements (voir analyse FNARS du 15 décembre 2014).

La discussion du texte au Sénat remet non seulement en question certaines de ces dispositions mais va encore plus loin concernant les atteintes aux droits fondamentaux des déboutés, en les excluant quasi automatiquement de la veille sociale, portant ainsi une atteinte grave à l’accueil inconditionnel, principe toujours défendu par la FNARS.

Retour sur les dispositions les plus emblématiques :

1.La procédure d’asile :

Là où les députés avaient retirés les possibilités pour l’OFPRA de clôturer une demande d’asile si l’étranger avait fui ou quitté sans motif légitime son lieu d’hébergement, les Sénateurs réintroduisent la possibilité de lier les conditions d’accueil à la procédure d’asile. En effet, pour les sénateurs, l’OFPRA doit pouvoir clôturer une procédure d’asile si le demandeur d’asile a « abandonné, sans motif légitime, le lieu où il était hébergé ».

Concernant la production de certificats médicaux à l’OFPRA, le texte issu du Sénat précise dans loi que « Les résultats des examens médicaux sont pris en compte par l’office parallèlement aux autres éléments de la demande ».

Les sénateurs ont également précisé dans le texte que la domiciliation ne devait pas être une condition préalable pour le dépôtd’une demande d’asile.

Un amendement avait été porté par la FNARS pour permettre à ce que les associations de lutte contre l’exclusion puissent, avec les associations de droits de l’homme et de défense du droit d’asile être retenues comme des associations habilitées à participer comme tiers à l’entretien OFPRA. Les sénateurs n’ont pas retenu cette proposition, créant ainsi une discrimination entre les demandeurs d’asile hébergés dans certaines associations qui pourront être accompagné par des travailleurs sociaux à l’entretien (type FTDA, Forum réfugié, CIMADE…) et d’autres pourtant hébergés en CADA (type COALLIA, ADOMA ou associations non spécialisée sur l’asile ou les droits de l’homme…).

Les sénateurs ont également modifié certaines dispositions relatives à l’établissement de la liste des pays d’origine sûrs, la composition de l’OFPRA, la suppression du principe de réexamen systématique tous les trois ans par l’OFPRA des bénéficiaires de la protection subsidiaire, la possibilité d’expérimentation de la territorialisation de l’OFPRA…. (Pour un examen détaillé : http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201504/droit_dasile_reformer_un_systeme_a_bout_de_souffle.html )

2.L’orientation directive et les mesures liées à l’hébergement des demandeurs d’asile

Les sénateurs n’ont pas remis en cause la clef de voute du système d’orientation directif des demandeurs d’asile.Un demandeur d’asile se verra donc proposé par l’OFII une orientation vers un lieu d’hébergement, selon un schéma national et régional d’accueil des demandeurs d’asile. Cette proposition d’orientation devra être réalisée dans un délai de trois jours depuis sa première demande auprès d’une plate-forme de pré-accueil pour demandeur d’asile. L’orientation sera faite vers une structure CADA ou dans un lieu d’hébergement d’urgence pour demandeur d’asile dans la région d’origine ou dans une autre région.

Elle sera réalisée en tenant compte des besoins du demandeur d’asile, de l’évaluation de la vulnérabilité et des capacités d’hébergement disponibles. Sa situation sanitaire et familiale, comme les députés l’avaient pourtant précisé ne sera plus prise en compte dans l’orientation proposée. Enfin, l’entretien personnel avec le demandeur d’asile pour la détection de cette vulnérabilité a été supprimé par les sénateurs.

En cas de refus de cette orientation, le demandeur d’asile ne pourra pas percevoir l’allocation pour demandeur d’asile et seule une orientation à l’hôtel, sans accompagnement pourra lui être proposée par le SIAO, en charge du tri des demandeurs qui auront refusés ou non l’offre d’hébergement.

Le Sénat remet également en question une avancée importante obtenue à l’assemblée nationale qui garantissait un accompagnement social et administratif dans tous les lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile. Cet accompagnement est désormais rendu facultatif et n’est plus une obligation dans les lieux d’hébergement.

Concernant les admissions dans les structures d’hébergement, l’OFII sera en charge de la décision d’entrée et la décision de sortie de ces centres d’hébergement, à la place du gestionnaire qui ne sera consulté que pour avis. Là où les députés avaient retirés les mesures liées au contrôle des demandeurs d’asile au sein des lieux d’hébergement, les sénateurs ont réintroduit cependant une obligation pour le gestionnaire de signaler à l’OFII les « comportements violents et les manquements graves au règlement de fonctionnement ». L’OFII pourra ainsi suspendre ou retirer automatiquement les conditions matérielles d’accueil (hébergement + allocation) dans ces deux situations sans que l’appréciation soit déterminée au cas par cas. Dans ce cas, le demandeur d’asile ne pourra pas demander le rétablissement à l’OFII des conditions matérielles d’accueil.

La participation financière des demandeurs d’asile en fonction de leurs ressources aux frais de fonctionnement des lieux d’hébergement (déjà prévu pour les CADA) a été également étendu à l’hébergement d’urgence et autres lieux assimilés, ouvrant ainsi la possibilité pour tous les lieux d’hébergement d’urgence, au-delà même des lieux spécialisés pour les demandeurs d’asile.

3.Les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile

La réforme de l’asile poursuit notamment un objectif de simplification du modèle CADA. En retirant, l’admission à l’aide sociale en CADA, le projet de loi dénature les missions et bouleverse radicalement le fonctionnement des CADA. Les Sénateurs n’ont pas remis en question cette évolution (suppression du pouvoir d’admission du gestionnaire, suppression de la commission de sélection des appels à projets pour les CADA, contentieux administratif de la procédure d’expulsion, allégement des procédures d’évaluation …).

Concernant l’expulsion des lieux d’hébergement si les personnes se maintiennent en présence indue, le contentieux devra être porté devant le tribunal administratif et non devant le tribunal judiciaire pourtant seul juge aujourd’hui compétent concernant la procédure d’expulsion d’occupants d’un immeuble appartenant à une personne de droit privé (voir CE, n°384957, 11 mai 2015). Cette procédure a été cependant étendue aux situations où le demandeur d’asile commettrait « des manquements graves au règlement de fonctionnement du lieu d’hébergement ou […] des actes contraires à l’ordre public ».

Concernant les évaluations des CADA, le rapporteur du texte a réintroduit le délai actuellement en vigueur concernant les évaluations externes des CADA mais n’a pas modifié l’assouplissement de la règle pour les évaluations internes. Si le texte n’est pas modifié ultérieurement, les CADA ne seront donc soumis qu’à une seule évaluation interne et deux évaluations externes. On voit mal comment l’évaluation externe pourrait ne pas être réalisée sans une évaluation interne préalable. Il conviendrait donc de rétablir le droit commun en matière d’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux.

Les sénateurs ont également précisé que les CADA, désormais comptabilisé avec les CHRS dans le décompte des pourcentages de logements sociaux imposés aux communes au titre de la loi SRU, seront également mentionnés dans le périmètre du « répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux » dit RPLS. L’objectif étant d’améliorer la connaissance du parc locatif social, quelle que soit la forme d’habitat et alimenter l’inventaire SRU sur ce type de structures lorsqu’elles appartiennent à des bailleurs sociaux.

4.Sur le droit au travail des demandeurs d’asile,

La directive du 26 juin 2013 relative aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile prévoit que l’accès effectif au marché du travail doit être garanti aux demandeurs d’asile dans un délai de 9 mois à partir de la date d’introduction de sa demande lorsqu’aucune décision de protection n’a été rendue. Les sénateurs ont supprimés les dispositions introduites à l’assemblée nationale qui visait à transposer cette obligation. Les dispositions actuellement en vigueur sont donc rétablies (accès au marché du travail avec opposition de la situation de l’emploi au bout d’un an de procédure). Cette disposition est manifestement contraire aux obligations de transposition de la directive.

5.Les procédures d’éloignement et la prise en charge des déboutés :

Les sénateurs ont introduits des mesures préjudiciables à notre système de solidarité nationale qui mettent à mal le travail social et les positionnements éthiques des associations dans l’accompagnement de ce public dont la situation administrative prime désormais sur la situation de détresse sociale.

Ainsi, les sénateurs restreignent considérablement dans la loi l’accès des déboutés à la veille sociale et à l’accueil inconditionnel comme l’entendait déjà le faire le conseil d’Etat depuis 2013.

Ainsi, les déboutés de la demande d’asile ne pourront être pris en charge dans le dispositif d’hébergement d’urgence « qu’en cas de circonstances particulières faisant apparaître, pendant le temps strictement nécessaire à son départ, une situation de détresse suffisamment grave pour faire obstacle à son départ ». Dans la même logique, les sénateurs ont supprimé le droit au maintien dans les lieux d’hébergement (dont les CADA) pour les déboutés. Le droit au maintien pour les réfugiés reste cependant prévu pendant un délai réglementaire.

De plus, les sénateurs ont réintroduits dans la loi le principe de centres dédiés pour l’accueil des déboutés au sein desquels ils seraient assignés à résidence le temps de l’accompagnement à leur retour. Ce dispositif avait pourtant été retiré de la loi par le gouvernement malgré son attachement à ce dispositif. La formulation actuelle laisse ainsi la possibilité que les déboutés soient assignés également dans des centres d’hébergement ou à l’hôtel.

Ces deux mesures ont fait l’objet d’une large mobilisation des associations de solidarité et de défense des droits de l’homme qui ont interpellé Bernard CAZENEUVE pour revenir sur ces dispositions manifestement contraires à tout principe de solidarité nationale et mettant à mal le travail social à l’égard des migrants (pour télécharger la lettre ouverte à Bernard CAZENEUVE)

Concernant l’éloignement et la régularisation des déboutés, le Sénat adopte une position de fermeté à leur égard en adoptant des mesures contraires aux dispositions légales et conventionnelles que la France se doit pourtant de respecter. Ainsi, le Sénat interdit pour une personne déboutée de sa demande de déposer une régularisation après sa demande d’asile. Ceci revient à les empêcher de déposer notamment une demande de régularisation pour raison médicale ou d’être régularisé au titre de la vie privée et familiale (mariage, enfant…) et a notamment pour conséquences de créer de nouvelles personnes « ni expulsables, ni régularisables ».

Dans le même ordre d’idée, les Sénateurs ont jugé que les décisions OFPRA ou CNDA valaient OQTF pour accélérer la procédure d’éloignement. Ces décisions ne permettront donc pas prendre en compte l’ensemble de la situation des personnes au regard du droit au séjour ou des risques en cas de retour dans leur pays d’origine.

L’ensemble de ces dispositions sont manifestement contraires aux dispositions légales et conventionnelles, notamment à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui interdit notamment la torture, les traitements inhumains ou dégradants (article 3) en cas de retour au pays et garantit le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8). De plus, l’OQTF étant une mesure d’éloignement, seule l’autorité administrative est compétente pour la délivrer.

Une autre mesure discriminatoire est également introduite par les sénateurs : la fixation du délai de retour volontaire et du droit de solliciter une aide au retour qui sont portés à 7 jours pour les déboutés contre 1 mois pour les autres étrangers.

6.L’insertion du public bénéficiaire d’une protection internationale

L’assemblée nationale avait consacrée un certain nombre d’avancées en matière d’intégration du public réfugié. Il s’agissait notamment de simplifier les procédures de regroupement familial et d’octroyer des titres de séjours dans des délais plus brefs et d’une durée plus importante afin d’éviter les ruptures de droits dès l’obtention d’une protection internationale.

Le texte issu des discussions au Sénat ne remet pas en question ces dispositions et prévoit également la déclinaison régionale d’une convention nationale entre l’Etat et les personnes morales concernées (notamment les collectivités territoriales) permettant la mise en place d’un « accompagnement  personnalisé pour l’accès à l’emploi et au logement ». Cet accompagnement et la convention qui le décline existait préalablement dans la loi (article L711-2 du CESEDA) mais n’a jamais été véritablement appliqué. La FNARS regrette par conséquent que le Sénat n’ait pas retenu un amendement visant à mettre en place un accompagnement pour l’accès et le maintien des droits des réfugiés, allant bien au-delà de l’emploi et au logement.

En s’inspirant du rapport relatif aux centres provisoires d’hébergement (CPH) du sénateur Robert KAROUTCHI (pour consulter le rapport) les Sénateurs ont choisi de modifier le statut de ce dispositif visant l’insertion du public réfugié.

Désormais, les CPH constituent une catégorie juridique du code de l’action sociale et des familles, à côté des CHRS et des CADA.

Ainsi, bien que l’origine première des CPH soit d’accueillir un public réfugié confronté à de graves difficultés sociales, ce qui justifie l’intégration dans un statut CHRS, le Sénat fait le choix de ne plus faire référence à toute problématique sociale pour l’accueil de ce public. Ainsi, les CPH accueillent désormais tout « étranger s’étant vu reconnaitre la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ».

Les missions des CPH sont toutefois précisées. Ils assurent « l’accueil, l’hébergement ainsi que l’accompagnement linguistique, social, professionnel et juridique des personnes qu’ils hébergent, en vue de leur insertion » et « coordonnent les actions d’insertion des étrangers » protégés.

L’orientation vers un CPH suit désormais le modèle CADA car il s’agira d’une orientation directive prise par l’OFII, après « consultation du directeur du centre ». Ainsi, comme pour les CADA, l’OFII sera en charge des décisions d’admission, de sortie et de changement du centre. Bien que les dispositions relatives à l’admission à l’aide sociale et au CHRS n’aient pas été supprimées, les dispositions introduites par le sénat sont incompatibles avec le maintien de l’aide sociale en CHRS et par conséquent en CPH.

La FNARS regrette que des dispositions permettant un accès plus rapide au droit commun du public réfugié n’aient pas été choisies par les parlementaires pour favoriser l’intégration du public réfugié. De plus, les discussions budgétaires n’envisagent pas une évolution massive de places d’hébergement en CPH qui sont actuellement insuffisantes (fixées autour de 1080 places réparties sur tout le territoire national) posant ainsi la question du critère de cette orientation, si elle n’est pas fondée sur la détresse sociale. L’orientation directive vers les places CPH existe actuellement puisque l’OFII se charge de l’orientation du public réfugié. La FNARS regrette cependant que l’articulation avec les acteurs de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion de droit commun n’ait pas été envisagée par les sénateurs, seule une intégration des places CPH dans le futur traitement automatisé « asile » étant mentionné. La coordination des places d’hébergement et des orientations avec le SIAO apparaissent pourtant essentielles sur un territoire, notamment depuis la loi ALUR et la participation des dispositifs d’insertion du public réfugiés qui doivent également participer aux futurs plans locaux d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (PLALHPD).

Les suites de la discussion :

Le projet de loi étant placé en procédure accélérée, une commission mixte paritaire, composée de 7 députés et 7 sénateurs, est désormais en charge de s’entendre sur un texte de compromis. En cas d’accord le texte sera rapidement promulgué. Dans le cas contraire, une seconde lecture à l’assemblée nationale et au Sénat devra avoir lieu.

Projet de loi « portant réforme du droit d’asile » voté au Sénat le 26 mai 2015.

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