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7 mars 2014

La dignité des demandeurs d’asile : quel impact sur la future réforme de l’asile ?

Au moment où la réforme du droit d’asile est en cours de d’élaboration par le ministère de l’Intérieur, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 27 février 2014 vient clarifier et donner des exigences strictes à l’Etat français quant aux conditions matérielles d’accueil dignes des demandeurs d’asile. Des conséquences favorables pour les demandeurs d’asile que l’Etat français devra prendre en compte dans la future réforme.

La transposition de la directive accueil

La directive européenne du 27 janvier 2003 relative aux normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile, dite directive « accueil » fixe les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile sollicitant une protection internationale dans un pays membre. Cette directive a été modifiée par la directive du 26 juin 2013 (directive 2013/33/UE). La France a jusqu’au 20 juillet 2015 pour transposer en droit français cette directive. C’est l’objet notamment de la future réforme de l’asile qui devra prendre en considération les nouvelles orientations européennes. La Cour de justice de l’Union européenne vient de réaffirmer dans cet arrêt du 24 février 2014 que les Etats ont une obligation d’assurer des conditions dignes d’accueil des demandeurs d’asile.

Rappel des faits

La situation dont la Cour était saisie concerne le dispositif belge d’accueil des demandeurs d’asile mais la solution dégagée par la CJUE est transposable à l’Etat français. En l’espèce, une famille demandeuse d’asile avait sollicité une admission dans une structure dédiée à l’accueil des demandeurs d’asile (en France, les CADA). Faute de places disponibles, la famille a été orientée vers le dispositif de droit commun (en France, le dispositif de veille sociale) qui n’était pas non plus en mesure de lui trouver une place d’hébergement. Cette famille s’est donc tournée vers le secteur privé de la location et a demandé à l’Etat le remboursement des loyers engagés, compte tenu du faible montant de l’allocation de ressources qui lui était allouée par l’Etat belge et le fait que la réglementation ne lui reconnaissait pas la possibilité de travailler. La Cour de justice de l’Union européenne fait droit à cette demande en s’appuyant sur l’obligation qu’ont les Etats à assurer des conditions de vie dignes aux demandeurs d’asile.

Les principes rappelés par la CJUE

Les conditions matérielles d’accueil doivent s’appliquer dès l’introduction de la demande d’asile. Ainsi, un demandeur d’asile ne peut être privé « fût-ce pendant une période temporaire, après l’introduction d’une demande d’asile, de la protection des normes minimales établies par la directive ». Les délais d’attente entre la présentation en préfecture d’un demandeur d’asile et le bénéfice effectif des conditions matérielles d’accueil devront donc être largement revus et corrigés dans la prochaine réforme française. La nouvelle directive oblige l’Etat à enregistrer la demande d’asile et de délivrer un document attestant de la qualité de demandeurs d’asile après sa présentation dans un délai de 3 jours.

La directive précise en outre que « les conditions d’accueil matérielles peuvent être fournies en nature ou sous la forme d’allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules ». En tout état de cause, lorsque les conditions d’accueil sont fournies sous forme d’allocation financière (en France, à travers l’allocation temporaire d’attente), la Cour rappelle que les Etats doivent faire en sorte que « le montant de l’aide financière octroyée doit être suffisant pour garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et assurer la subsistance des demandeurs d’asile ».

L’État membre doit adapter (et non réserver) les conditions d’accueil aux besoins particuliers du demandeur afin, notamment, de préserver l’unité familiale et de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, le montant de l’allocation doit permettre aux enfants mineurs d’être logés avec leurs parents. En effet, « le montant de ces allocations doit être suffisant pour permettre aux enfants mineurs d’être logés avec leurs parents, de sorte que l’unité familiale des demandeurs d’asile puisse être maintenue ».

L’interprétation de la CJUE sur la notion de « conditions de vie dignes et adéquates »

Si l’Etat choisi de fournir des allocations financières, celles-ci doivent, à défaut d’accès à des places dédiées (CADA) , « garantir un niveau de vie digne et adéquat pour la santé ainsi que pour assurer la subsistance des demandeurs d’asile en leur permettant de disposer notamment d’un logement, le cas échéant, sur le marché privé de la location ». L’arrêt précise bien qu’il ne s’agit pas de consacrer la liberté de choix du logement à la convenance personnelle du demandeur d’asile. Mais la Cour précise que le bénéficie des conditions matérielles d’accueil aux demandeurs d’asile implique ceux-ci doivent pouvoir bénéficier d’une allocation couvrant les frais d’un logement dans le parc privé s’ils ne peuvent accéder à aucune place en structure dédiée et que le dispositif généraliste leur est inaccessible, ce qui est souvent le cas en France.

Concernant la saturation des places d’hébergement dédiés à l’accueil des demandeurs d’asile, la Cour déclare que les allocations financières peuvent être versées par l’intermédiaire des organismes de droit commun (en France, le dispositif de veille sociale), pour autant que ceux-ci assurent aux demandeurs d’asile le respect des normes minimales prévues par la directive. Autrement dit, la saturation des réseaux d’accueil ne saurait justifier une quelconque dérogation au respect de ces normes. La Cour rappelle ainsi que le dispositif généraliste doit pouvoir accueillir des demandeurs d’asile en couvrant leurs besoins fondamentaux et en leur octroyant des conditions de vie dignes et adéquates. Il met un coup d’arrêt aux interprétations du conseil d’Etat français qui avait laissé la possibilité en 2010 « de recourir à des modalités d’accueil sous forme de tentes ou d’autres installations comparables », fautes de moyens dont disposait l’autorité administrative compétente.

Les conséquences sur la future réforme de l’asile en France

Cet arrêt va obliger l’Etat français a introduire dans la future réforme de l’asile, un dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile qui devra couvrir les besoins fondamentaux des demandeurs d’asile en assurant leur dignité et un niveau de vie adéquat. Le schéma national d’orientation directif prévu dans le rapport Létard/Touraine ne pourra être accompagné que de la création de places d’hébergement en nombre suffisant sur le territoire français. A défaut, l’Etat français pourrait être condamné à payer les loyers correspondant à la période ou le demandeur d’asile ne se serait pas vu proposé de places d’hébergement prenant en compte sa situation familiale. Le montant de l’ATA doit donc être revu en conséquence. Celui-ci devra nécessairement prendre en compte la composition familiale du demandeur d’asile mais surtout être suffisant pour garantir les obligations de la directive, ce qui ne semble pas être les orientations ni du rapport Létard/Touraine ni des choix budgétaires traduits dans la loi de finances. Cela pourrait peut être également faire réfléchir le gouvernement quant à l’opportunité de reconnaitre aux demandeurs d’asile le droit de travailler dès l’introduction de leur demande…

Lire l’arrêt de la CJUE du 27 février 2014…

Lire le communiqué de presse de la CJUE…

Lire l’article de serge Slama et Marie-Laure Basilien – Gainche dans la Revue des droits de l’homme…