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26 juin 2018

Jeunes LGBTIQ sans-abri : comment mieux prendre en compte ce public ?

La Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri tenait lors de sa conférence annuelle les 14 et 15 juin, un atelier visant à explorer la problématique du sans-abrisme parmi les personnes LGBTIQ (lesbiennes, gay, bi, trans, intersexe, queer), notamment les jeunes.

Le premier constat, formulé par Roberto Bernad, de la Fondation Raïs en Espagne, est celui d’une invisibilisation de la problématique. En Europe aucune des stratégies intégrées de lutte contre le sans-abrisme n’intègre cette dimension, il n’existe aucun chiffre officiel sur la proportion de personnes LGBTIQ parmi les personnes sans-abri, qu’elles soient dans ou hors de l’hébergement. Rares sont les pays où des réseaux associatifs accompagnent les personnes LGBTIQ sans abri. En France, l’association Le Refuge leur propose un hébergement et un accompagnement.

Pourtant, le peu d’études menées sur cette question révèlent que le risque de devenir sans-abri pour les personnes LGBTIQ est beaucoup plus important que pour la population générale. Au Royaume-Uni, 25% des jeunes sans-abri s’identifient comme personne LGBTQ alors qu’on estime qu’ils-elles représentent 7% de la population générale. Aux Etats-Unis ce ratio monte à 40/7, un différentiel qui s’explique probablement du fait de la meilleure qualité des études menées aux Etats-Unis.

Pourquoi les jeunes LGBTIQ sont davantage touchés par le sans-abrisme que les autres ?

Jama Shelton et Gregory Lewis, tou-te-s deux de la TrueColors Foundation aux Etats-Unis, ont apporté des réponses sur la base d’enquêtes de grande envergure menées dans leur pays, auprès de jeunes LGBTIQ et de structures accueillant des jeunes. Aux Etats-Unis, les jeunes LGBTIQ sont touchés 120% de plus par le sans-abrisme que les autres. Une situation qui touche d’autant plus les jeunes afro-américains, qui subissent une double discrimination. 80% des jeunes interrogés avaient soit été forcés à quitter le domicile familial, soit avaient fugué, du fait du rejet de la famille de leur orientation sexuelle ou de leur genre. D’autres facteurs explicatifs, parfois additionnels, incluent le fait d’avoir subi des maltraitances à la maison, la fin de prise en charge par la protection de l’enfance, des problèmes de famille ou un manque de moyens financiers au sein du foyer. Parmi les travailleurs sociaux interrogés, 99,3% disent avoir déjà travaillé avec des jeunes LGBTIQ. Ces jeunes rencontrent davantage de problématiques de santé que la moyenne dans plus de la moitié des cas, notamment concernant leur santé mentale, du fait des traumatismes subis liés à leur orientation sexuelle : discrimination, rejet familial, violences, etc. Cette situation est encore plus problématique pour les jeunes trans, qui ont des besoins de santé spécifiques liés à leur transition sexuelle.

Quelles réponses apporter ?
Les réponses doivent être apportées à plusieurs niveaux :
  • La prévention : comme a pu l’expliquer Tim Sigsworth, du Albert Kennedy Trust au Royaume-Uni, passer ne serait-ce qu’une nuit à la rue peut être extrêmement destructeur et traumatisant. Aussi faut-il agir en amont auprès des jeunes par des campagnes d’information et de sensibilisation et en rendant visible les interlocuteurs pouvant leur venir en aide. Cette sensibilisation doit se faire dans l’espace public mais aussi sur le web, au sein des communautés LGBTIQ, qui est le principal outil d’information des jeunes aujourd’hui. Il s’agit aussi de rendre visible cette problématique aux yeux de la société afin de réduire les discriminations qui pèsent sur les jeunes LGBTIQ, à l’intérieur et en dehors de leur famille.
  • La prise en compte dans le cadre de l’accompagnement social : l’un des constats qui est ressorti des enquêtes menées aux Etats-Unis est la frilosité des intervenant-e-s sociaux-ales à évoquer la thématique de l’orientation sexuelle avec les jeunes qu’ils-elles accompagnent et rencontrent. Or, ce comportement ne permet pas de protéger les personnes des violences et d’autres formes de discriminations qu’elles pourraient subir. Quand le rejet de l’orientation sexuelle des personnes est la raison pour laquelle elles se retrouvent sans logement, comme c’est le plus souvent le cas, il faut que cette dimension soit prise en compte dans l’accompagnement qui est proposé pour qu’il soit efficace. C’est également le cas des problématiques de santé qui peuvent demander des réponses spécifiques. En outre, au-delà des structures d’accueil spécialisées qui peuvent être une réponse, il faut aussi que les structures d’accueil et d’hébergement généralistes intègrent cette dimension en faisant en sorte que leurs lieux d’accueil soient suffisamment bienveillants pour les personnes LGBTIQ et qu’elles s’y sentent en confiance et en sécurité. Il peut s’agir d’affiches rappelant l’acceptation de chaque personnes indifféremment de son genre ou de son orientation sexuelle, la mise en place d’une personne référente sur cette question, l’instauration de groupes de parole dédiés, de faire en sorte que la parole des jeunes puisse s’exprimer dans des cadres plus détendus qu’un entretien, etc.
  • Le travail en partenariat est crucial pour pouvoir accompagner efficacement les jeunes LGBTIQ en situation de sans-abrisme : protection de l’enfance, association d’accueil des demandeurs d’asile, associations LGBTIQ, personnes concernées, acteurs de santé, doivent travailler main dans la main afin de créer un environnement favorable à la prévention du sans-abrisme et à un accompagnement adapté pour les jeunes LGBTIQ.
  • La formation des intervenant-e-s sociaux-ales à cette problématique est essentielle. D’ailleurs les organisations présentes dans l’atelier ont développé différents outils à cette fin : une « boite inclusion » qui permet aux professionnels de disposer d’outils afin d’adapter leur pratique quotidienne à la problématique LGBTIQ, des modules de formation en ligne mais aussi hors ligne, etc.
  • La recherche et le plaidoyer : afin de rendre visible cette problématique, il faut pouvoir mener des études de qualité en Europe, notamment auprès des jeunes sans-abri et du secteur de l’hébergement. De cette manière l’accompagnement social porté par les associations et la formation des intervenant-e-s sociaux-ales pourra évoluer et s’adapter aux difficultés rencontrées par les personnes LGBTQI.
Pour en savoir plus :

Le site du Refuge : https://www.le-refuge.org/
La présentation de Gregory Lewis and Jama Shelton, TrueColors Foundation lors de l’atelier : https://www.feantsa.org/download/gregory_jama125352085806890287.pdf
La présentation de Roberto Bernad, Raïs : https://www.feantsa.org/download/lgtbiq-homelessness-bernad3603521294500245160.pdf
La présentation de Tim Sigsworth, Albert Kennedy Trust: https://www.feantsa.org/download/tim-sigsworth-presentation8778513378109119875.pdf