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26 novembre 2019

Grenelle des violences conjugales – Analyse de la Fédération des acteurs de la solidarité

Le 3 septembre, lors de l’ouverture du Grenelle et ses premières annonces, nous avions pu relever l’effort du Gouvernement mais aussi l’insuffisance des mesures annoncées au regard des besoins. La Fédération des acteurs de la solidarité questionne notamment le déploiement de mesures d’allocation logement temporaire (ALT) qui ne prévoient pas de financement pour l’accompagnement et ne nous paraît pas adapté à l’accueil et la prise en charge des femmes victimes de violences. Alors que ces annonces ont été confirmées et précisées par le gouvernement, notamment par le biais d’un cahier des charges envoyé aux services déconcentrés de l’Etat, nous réitérons les mêmes inquiétudes.

Une charte qui ne répond pas à l’enjeu de la création de places spécialisées

La Fédération des acteurs de la solidarité a participé au Grenelle contre les violences conjugales, en contribuant au groupe de travail « coopération associations-hébergement » qui s’est réuni deux fois pendant la période de la concertation, aboutissant à la création d’une charte relative à la coordination entre la plateforme du 3919 et les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). Cette charte vise à renforcer le travail partenarial des SIAO et du 3919 pour permettre une orientation plus rapide et plus efficace des femmes victimes de violences vers un lieu d’hébergement ou un logement, notamment lorsque leur sécurité est en jeu. Elle s’appuie notamment sur la circulaire du 12 avril 2013 relative aux relations entre les SIAO et les associations spécialisées dans la prise en charge des femmes victimes de violences, qui a déjà donné lieu à des conventions de partenariat dans la plupart des départements.

Cette charte, qui sera signée prochainement par le ministre du logement, la secrétaire d’Etat en charge de l’égalité des femmes et des hommes, la Fédération des acteurs de la solidarité et la Fédération Nationale Solidarité Femmes, développe les points suivants :

  • Une meilleure prise en compte des femmes victimes de violences par le SIAO : point de contact dédié, ligne téléphonique spécifique au 3919, orientation la plus spécialisée et adaptée possible
  • Une meilleure communication entre les SIAO et le 3919 : information de la plateforme du 3919 de l’orientation par le SIAO d’une personne ayant préalablement contacté le numéro d’urgence, engagement du 3919 à contacter systématiquement le numéro dédié « femmes victimes de violences » du SIAO en cas de demande d’hébergement formulée par la femme victime de violences, information du SIAO en cas d’admission directe opérée, etc.
  • La mise en place d’une réunion annuelle entre la plateforme du 3919 et les SIAO afin de garantir l’application de cette charte.

La Fédération des acteurs de la solidarité et les autres associations présentent ont rappelé lors du groupe de travail que cette charte ne répondait pas au principal obstacle à l’hébergement des femmes victimes de violences qui reste le manque de places adaptés pour ce public. Les associations présentes ont également proposé que la circulaire du 12 avril 2013 soit actualisée et réactivée par les services de l’Etat, dans la mesure où c’est un outil à plus grande portée qu’une charte de coopération. Cette option n’a pas été retenue.

Nous accueillons cependant positivement la création d’un groupe de suivi sur l’hébergement des femmes victimes de violences, cadre d’échange qui nous semble être nécessaire pour améliorer notre réponse collective à ce phénomène.
Parallèlement à cette charte, le gouvernement a annoncé la création de 1 000 places d’hébergement et de logement temporaire, à savoir 250 places d’hébergement d’urgence et 750 mesures d’ALT (Allocation Logement Temporaire).

Un coût à la place incohérent au regard des exigences demandées sur ces places

Sur les 250 places d’hébergement d’urgence, le coût moyen proposé par place est extrêmement faible au regard des besoins du public concerné, les femmes victimes de violences.  Si le financement  proposé, à hauteur de 25€/jour en moyenne (c’est-à-dire 9125€/an), est insuffisant pour garantir un accompagnement de qualité pour toute personne hébergée,  il apparaît encore plus difficile avec ce niveau de financement de répondre aux prestations définies dans le cahier des charges, dont nous partageons pourtant l’ambition :

  • Un hébergement collectif plus coûteux que l’hébergement en diffus
  • Le respect de l’intimité et de la vie familiale, avec donc des chambres séparées pour les enfants
  • Alimentation comprise
  • Hébergement sécurisé, gardiennage et présence 24h/24
  • Accompagnement spécifique pour les femmes victimes de violence par des intervenants sociaux formés

Un tel financement ne permettra pas de prendre en charge la totalité des coûts engendrés par l’ouverture de places dans le cadre de ce cahier des charges, laissant reposer soit sur les associations un risque de surcoût à assumer sur leurs fonds propres, soit sur les femmes victimes de violence un accompagnement insuffisant ou inadapté. Par ailleurs les places éventuellement créées ne pourront l’être que dans des structures déjà existantes, en mesure d’absorber une partie du sous-financement de ces places.
Enfin, s’il est positif que le calendrier annoncé prévoie l’ouverture de ces places dès janvier 2020, la période hivernale risque de rendre ce délai difficile à tenir.

Le déploiement de places ALT ne correspond pas aux besoins des femmes victimes de violence

La Fédération des  acteurs de la solidarité s’interroge également sur l’opportunité du choix de l’ALT pour la prise en charge de femmes victimes de violences dans la mesure où l’ALT ne prévoit pas d’accompagnement et pose des difficultés aux gestionnaires.
Selon l’évaluation menée par le cabinet Ville et Habitat pour la CNAF et la DGCS de l’ALT, 95 % des opérateurs et des services déconcentrés estiment que la mise en place de mesures d’accompagnement est nécessaire pour les ménages logés. Alors que l’ALT ne prévoit pas de financement de l’accompagnement social et de la gestion locative sociale, nous nous interrogeons sur l’opportunité du choix de l’ALT concernant les femmes victimes de violences qui ont de plus des besoins d’accompagnement spécifiques (démarches juridiques, évaluer le danger et assurer leur sécurité, accompagnement à la reconstruction et à la réinsertion sur le marché du travail, accompagnement des enfants).
Le cahier des charges ouvre la possibilité de co-financements AVDL ou via un appel à projets « 10 000 logements accompagnés », mais nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’informations ou de visibilité sur les moyens concrets qui seront mis en place pour accompagner ces femmes hébergées en ALT.
Par ailleurs, la Fédération rappelle qu’une des principales difficultés de l’ALT est le décrochage entre un forfait non revalorisé depuis 2008 et le niveau réel du loyer. D’après l’étude menée par la DGCS et la CNAF,  67 % des gestionnaires et des services déconcentrés considèrent que l’ALT ne permet pas de couvrir l’ensemble des frais liés au logement. L’instabilité du modèle économique de l’ALT peut avoir des conséquences pour accueillir des femmes victimes de violences : captation de logements peu qualitatifs dans des zones excentrées, difficultés d’accueillir des femmes avec des enfants dans les zones tendues en raison des loyers trop importants des grands logements, augmentation du reste à charge pour les femmes aux prix d’une sélection des publics, etc.
Le cahier des charges prévoit une orientation des femmes en fonction de leurs ressources : soit vers des places d’hébergement d’urgence  lorsqu’elles sont sans ressources ou vers les places d’ALT lorsque. Or l’ALT et les places d’hébergement d’urgence recouvrent des modalités d’accueil et d’accompagnement très différents :

  • en collectif pour les places d’hébergement d’urgence avec un accompagnement ;
  • en diffus sans accompagnement  pour l’ALT.

Nous estimons que les modalités d’orientation prévues par ce cahier des charges ne sont pas fonction des besoins des personnes mais de leur capacité financière. Nous interrogeons également la répartition des places sur le territoire français. Dans la mesure où les femmes en situation irrégulière n’ont pas accès à l’ALT (alors même que selon une enquête de la FNSF , elles sont plus encore en situation de danger que les personnes en situation régulière), il nous semble nécessaire deleur garantir des places disponibles en dispositif d’hébergement d’urgence.

Plateforme de géolocalisation des places FVV à destination des forces de l’ordre

Malgré les annonces sur le plan médiatique, nous n’avons reçu aucune information concernant l’outil de géolocalisation dont disposeront les forces de l’ordre pour identifier les places « Femmes victimes de violence » disponibles sur le territoire. Nous souhaiterions pourtant que les SIAO puissent être consultés dans la création et la mise en œuvre concrète de cet outil.

La Fédération continuera à porter des propositions pour améliorer la réponse à l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement des femmes de violences, en demandant notamment :

  • L’augmentation du nombre de places d’hébergement spécialisées et des mesures en faveur de l’accès direct au logement dans le cadre du plan quinquennal Logement d’abord ;
  • La sensibilisation de tou.te.s les acteur.trice.s de la chaine de l’insertion à la question des violences sexistes et sexuelles, de la veille sociale (maraudes, écoutant.e.s 115, SIAO) à l’hébergement, au logement en passant par l’insertion ;
  • Un moratoire sur les coupes budgétaires des CHRS qui pénalisent l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales ;
  • Une meilleure prise en compte de la problématique des violences dans les structures d’hébergement mixte par la formation des acteurs et l’adaptation des structures ;
  • Un accès facilité au séjour pour les femmes étrangères victimes de violences ;
  • L’adaptation du dispositif national d’accueil aux femmes, notamment victimes de violences, avec un accompagnement adapté.