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22 juin 2023

Courrier de Pascal Brice président de la Fédération des acteurs de la solidarité à la première ministre sur l’hébergement

Téléchargez le courrier à la première ministre…

Paris, le 22 juin 2023 –

Madame la Première Ministre,

À la suite de déplacements dans plusieurs régions françaises au cours des dernières semaines, complétés par la consultation de nos fédérations régionales, de divers adhérents et notamment des SIAO, je tiens à vous faire part ici, en leur nom et au mien, des inquiétudes sérieuses que suscitent, pour la bonne conduite de la politique d’hébergement et l’action des associations auprès des personnes sans abri, une série de directives et d’indications adressées par les services de l’Etat à nos adhérents.

Elles comportent en tout premier lieu des décisions de fermeture de places d’hébergement d’urgence, principalement en hôtels. En Île-de-France les préfets des départements ont fait connaître aux SIAO, hormis à Paris, une réduction de 8 % des crédits par rapport à la consommation actuelle, devant aboutir à la suppression de 4 000 nuits d’hôtels avant le 31 décembre. Des gels de projets sont annoncés, alors même que l’Etat avait lancé en mars un appel à manifestation d’Intérêt pour reconstituer 6 000 places vouées à fermer. L’investissement consenti pendant ces derniers mois par les associations pour identifier les sites, négocier avec les propriétaires, convaincre des élus et des riverains dont vous connaissez parfois les réticences initiales, serait alors perdu. Une telle décision hypothèquerait lourdement l’avenir au regard des contraintes budgétaires et des conditions de réalisation de ces projets sur les lieux d’implantation.

Dans de nombreux départements dans le pays, les services de l’Etat font part d’une impossibilité à poursuivre le financement des capacités actuelles d’hébergement, principalement en hôtels, et font valoir le caractère inéluctable, bien qu’encore à des niveaux le plus souvent non précisés, de fermetures. Ces dernières ont déjà conduit à une baisse du nombre des personnes hébergées selon le SI SIAO au 19 juin (- 6 422 personnes hors PHRH par rapport au début juin). Cette situation est d’autant plus préoccupante que les demandes non pourvues en 115 restent à un niveau élevé (plus de 6 000). Sans compter que rien ne permet d’exclure de nouveaux épisodes caniculaires dans les semaines à venir.

Ces indications de restrictions budgétaires, notifiées tardivement ou demeurant dans un flou déstabilisant pour les associations comme, d’ailleurs, pour les services de l’Etat, s’accompagnent de modalités qui suscitent également l’inquiétude. Il est ainsi demandé à nos adhérents de prévoir des « fins de prise en charge », de « prioriser les publics » – singulièrement de ne plus prendre en charge les personnes isolées – et de ne plus envisager de nouveaux projets. Autant d’orientations qui paraissent non conformes aux exigences de continuité de la prise en charge des personnes et qui ne manqueraient pas d’accentuer les atteintes à la dignité des personnes et à la tranquillité publique qu’accompagnent les séjours des personnes à la rue.

J’attire tout particulièrement votre attention sur des instructions délivrées par certains départements visant à « encadrer » les demandes d’hébergement émanant de femmes victimes de violences, voire à imposer le dépôt d’une plainte par exemple dans un délai de 15 jours. Au vu des risques que ferait courir aux femmes concernées et à tous les acteurs ce type d’approche, nous serions heureux que les consignes puissent être rapidement clarifiées. Nos associations qui disposent d’une expertise sur ces questions, notamment s’agissant du dépôt de plainte, sont à la disposition des services de l’Etat pour participer à la bonne compréhension de ces situations.

S’ajoute à cela la multiplication des démarches pressantes à des fins de sorties accélérées des présences indues du dispositif national d’asile. Alors même que l’accès au logement reste une gageure pour les bénéficiaires d’une protection internationale – comme en atteste leur présence nombreuse dans les premières orientations vers les accueils temporaires en régions – comme pour de nombreux habitants de ce pays, ces pressions s’accompagnent de méthodes contestables telles qu’une obligation de suivi de la mise en place de référés « mesures utiles » par les associations elles-mêmes.

L’ensemble de ces instructions sont préoccupantes en tant que telles, mais plus encore au moment où le gouvernement a engagé une démarche d’orientation de personnes sans abri depuis la région parisienne vers d’autres régions françaises, qui plus est en recherchant et en se prévalant du soutien – acquis sur le principe mais indissociable des conditions de sa mise en œuvre – des acteurs de la solidarité. Il ne serait pas compréhensible et moins encore soutenable que l’on mette plus encore de personnes à la rue en Ile-de-France dans un tel contexte. Il en irait de même de la fermeture de places d’hébergement dans les régions françaises vers lesquelles sont orientées ces personnes.

Nos associations sont pleinement conscientes de l’effort budgétaire inédit consenti par l’Etat ces dernières années au bénéfice des politiques d’hébergement d’urgence. Nous partageons la déception des pouvoirs publics alors que les besoins ne se démentent pas. Nous sommes les premiers à souhaiter sortir des nuitées hôtelières qui ne permettent pas l’accompagnement social nécessaire. Mais mettre les gens à la rue n’y changera rien et ne ferait qu’aggraver les difficultés. Nos associations ont besoin de prévisibilité, de dialogue, de continuité dans l’action, de confiance pour mener à bien leur difficile mission pour le compte de l’Etat. Qui plus est à un moment où elles sont fragilisées par la hausse des coûts (niveau moyen de déficit prévisionnel constaté de 6% (1) et les difficultés de recrutement d’intervenants sociaux.

Je vous saurais gré, si vous le voulez bien Madame la Première Ministre, au vu des interrogations et des inquiétudes présentes, d’organiser les concertations qui permettraient de clarifier les intentions du gouvernement et de conforter un cadre commun de confiance et d’action, dans lequel nos associations sont prêtes à toutes les améliorations nécessaires, au service de la politique d’hébergement d’urgence.

Veuillez agréer, Madame la Première Ministre, l’expression de mes hommages les plus respectueux.

Pascal BRICE

(1) Enquête flash « Impact de l’inflation pour le secteur associatif » de la FAS, mars 2023, qui vous a alors été transmise.

Copies :
M. Gérald DARMANIN, ministre de l’Intérieur
M. Jean-Christophe COMBES ministre des Solidarités
M. Olivier KLEIN, ministre en charge du Logement
Mme Isabelle LONVIS-ROME, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes
Mme Charlotte CAUBEL, secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance