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24 juillet 2019

[Circulaire 115 – Ofii] Interview de Florence Lamarque – Samu Social de Bordeaux

L’instruction ministérielle organisant des échanges d’informations nominatives entre le 115 et l’OFII entraîne des inquiétudes et des craintes légitimes concernant les droits des personnes accompagnées et hébergées dans nos associations. Interview de Florence Lamarque, directrice du Samu Social de Bordeaux.

Selon vous, quelle va être la finalité de la circulaire “Echanges de données OFII/SIAO ?

Je suis assez circonspecte sur la finalité annoncée par l’Etat selon laquelle cette circulaire aurait pour vocation d’améliorer le suivi des demandeurs d’asile. Effectivement, je trouve que c’est même très blessant pour les agents de l’OFII, et que ce n’est pas reconnaître le travail actuel de ce service public. Au quotidien, au SAMU Social, nous avons des liens avec eux pour travailler ensemble sur les situations des personnes les plus vulnérables repérées par les maraudes.

De quelles manières la circulaire pourrait-elle être utile aux ménages sans domicile ?

Je ne vois pas d’utilité directe pour les ménages sans domicile. L’utilité semble plus dirigée vers une meilleure « traçabilité » des parcours pour engendrer une meilleure « efficacité » dans l’application de la Loi Collomb.

Quels impacts pour l’hébergement d’urgence et pour l’inconditionnalité de l’accueil ?

Pour moi, cette circulaire remet directement en cause la notion d’inconditionnalité de l’accueil : lister nommément un public, c’est commencer à faire des catégories, à différencier des publics, donc remettre en cause l’inconditionnalité de l’accueil.

Concernant le travail social, le secret professionnel qui encadre les missions des intervenants sociaux vous semble-il protégé ?

De formation initiale assistante sociale, je suis très à cheval sur les questions de transmissions des données avec mes équipes. Certains éléments sont secrets (exemple : diagnostic médical, orientation sexuelle, croyance…), mais pour le reste, n’est secret que ce que nous demande expressément la personne. Je m’interroge aujourd’hui sur la justification que l’on donne à une personne concernant cette transmission obligatoire de données. Comment sur le trottoir, en maraude, alors que l’on échange avec une personne épuisée, perdue, qui ne parle pas forcément notre langue, qui ne connaît pas forcément notre culture et notre organisation, comment peut-on être certain qu’elle comprenne bien que si elle accepte un hébergement d’urgence, nous serons obligés de transmettre son nom à l’OFIIOFIIOffice français de l’immigration et de l’intégration ? Devra-t-on mettre en place une procédure comme par exemple, lui faire signer un papier ?

Que pensez-vous des réunions mensuelles organisées par le préfet dans lesquelles seront évoquées les situations personnelles des ménages ?

Ces réunions organisées par le préfet m’interrogent. Je n’ai pas bien compris qui y siègent et quelles en sont la finalité. Si c’est échanger sur des situations avec les agents de l’OFII, nous le faisons déjà (avec l’accord des personnes) pour les primo-arrivants rencontrés en maraudes. Nous trouvons déjà des solutions de parcours d’hébergement pour les plus vulnérables d’entre eux. Si c’est pour ficher des personnes et tracer leur parcours, là ce n’est pas la même chose. La question sera : qui anime la réunion ? qui sera autour de la table ? quels seront les éléments partagés ? Et surtout, comment seront utilisés les éléments transmis aux services de l’Etat ?

Vous êtes responsable d’un Samu Social, quels impacts la circulaire pourraient-elle avoir sur votre activité ?

Cette circulaire va mettre plus de personnes, de familles et d’enfants à la rue. Au vu du manque de place dans le BOP 303, les moins vulnérables ne pouvant basculer sur le BOP 177 en attendant d’avoir une place, devront attendre de longues semaines avant d’avoir une place. D’autres, par peur d’être fichés, vont refuser les propositions que l’on pourrait leur proposer au vu de leur vulnérabilité. La relation de confiance risque d’être malmenée et nous risquons d’assister impuissants, à une augmentation des personnes à la rue. De plus, je ne serai pas surprise de constater l’augmentation de pratiques mafieuses en direction de ce public et la location de logements à des prix excessifs. Si nous ne sommes pas capables de protéger ces personnes vulnérables par un accueil digne et inconditionnel, des réseaux parallèles très lucratifs et violents s’en chargeront.

Que pensez-vous de l’amélioration de la fluidité de la prise en charge des demandeurs d’asile comme avancée dans la circulaire ?

Ce n’est pas cette circulaire qui va améliorer la fluidité des parcours. Seule la création de places supplémentaires pourra répondre à cet objectif. D’autre part, il faudra que ces places supplémentaires soient aussi couplées à des mesures liées au logement de droit commun car une fois réfugiées, ces personnes doivent aussi pouvoir accéder à un logement. Et aujourd’hui, nous savons que cet accès fondamental est plus que difficile.

Que pensez-vous des équipes mobiles évoquées dans la circulaire ?

Quand il est écrit « les équipes mobiles ne devraient intervenir qu’à titre subsidiaire, lorsque des difficultés seront rencontrées avec les structures d’hébergement dans les transmissions d’information », il est clairement exprimé que ces équipes mobiles sont là pour renforcer la mise en place de cette circulaire, qu’elles seront « les gendarmes » de son application.

Si vous aviez une recommandation à faire concernant cette circulaire, quelle serait-elle ?

Outre nos valeurs et notre éthique professionnelle, en tant que directeur.trice d’établissement nous sommes tenus à appliquer la loi, les circulaires et nos référentiels professionnels. Outre la loi de 2002-2, notre référentiel des maraudes et SAMU Sociaux nous intime dans son critère 13/7 d’appliquer les droits et libertés des personnes. (« la maraude/SAMU Social informe la personne de son droit à la confidentialité et à la protection des données personnelles qui la concernent, conformément à la loi informatique et libertés »). La circulaire SIAO/OFII vient mettre à mal cette injonction professionnelle. Au quotidien, il nous faut nous munir d’outils afin de respecter notre référentiel de maraudes et ainsi grandir notre éthique professionnelle. Ces outils et procédures seront notre rempart pour faire valoir notre positionnement professionnel et continuer à accompagner de manière digne les plus vulnérables.