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25 juillet 2019

[Circulaire 115 – Ofii] Décryptage de la Fédération des acteurs de la solidarité

L’instruction ministérielle organisant des échanges d’informations nominatives entre le 115115Numéro d’urgence sociale anonyme et gratuit pour les sans-abriSIAOSIAOSystème intégré d’accueil et d’orientation et l’OFIIOFIIOffice français de l’immigration et de l’intégration entraîne des inquiétudes et des craintes légitimes concernant les droits des personnes accompagnées et hébergées dans nos associations. Vous trouverez ci-dessous une analyse de cette circulaire et des risques identifiés par la Fédération sur le droit des personnes. La Fédération a été à l’initiative via le Collectif des associations unies d’un courrier aux ministres de l’intérieur et au ministre chargé de la Ville et du logement, signé par plus de quarante organisations demandant le retrait de cette circulaire.

Le Conseil d’administration de la Fédération des acteurs de la solidarité, réuni le 12 juillet 2019, s’est positionné pour le retrait de cette circulaire :

Une circulaire qui porte atteinte aux droits des personnes sans abri et qui remet en question les missions du service d’urgence 115115Numéro d’urgence sociale anonyme et gratuit pour les sans-abri/SIAOSIAOSystème intégré d’accueil et d’orientation

La circulaire du 4 juillet 2019 met en œuvre une disposition introduite dans la loi “asile immigration” du 10 septembre 2018, selon laquelle les SIAO doivent transmettre tous les mois la liste des demandeurs d’asile et des réfugiés hébergés à l’OFII.

Dans une délibération portant avis sur le projet de loi, la CNIL avait apporté une réserve concernant cette nouvelle disposition et rappelé :

« Qu’en application de l’article L. 345-2-2 du CASF, l’accès aux dispositifs d’hébergement d’urgence n’est subordonné à aucune condition, notamment de séjour. Elle rappelle ainsi que l’échange d’information envisagé ne doit pas conduire à ce que le SIAO exclue du dispositif d’hébergement d’urgence, des personnes pouvant en bénéficier. A cet égard, elle recommande que le projet de loi précise clairement l’objectif de cet échange tel que présenté par le ministère. Enfin, au vu de la sensibilité des informations transmises, la Commission rappelle que les échanges envisagés devraient être entourés de mesures sécurité adéquates. »
Voir Délibération n°2018-048 du 8 février 2018 portant avis sur le projet de loi

Cette recommandation de la CNIL, qui reprend des principes essentiels de la protection des données définie par le droit européen et « la loi informatique et Libertés » – principes de licéité, de loyauté, de transparence et de finalité – n’a pas été suivie et la loi a été adoptée sans que les finalités ne soient expressément mentionnées.

Bien que l’OFII dispose des informations dès l’enregistrement de la demande d’asile, le ministère de l’intérieur justifie la transmission des listes par le service d’urgence « 115/SIAO » par la nécessité d’améliorer l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés et leur orientation vers le dispositif national d’accueil (CADA/HUDA/PRAHDA/CPH). Elle doit également permettre à l’OFII de calculer le montant additionnel de l’ADA et de le supprimer lorsque la personne est accueillie dans l’hébergement d’urgence généraliste. Elle permettrait aussi de « fluidifier l’hébergement d’urgence de droit commun qui peut être mobilisé uniquement pour ces publics au nom de l’accueil inconditionnel en cas de détresse ».

Selon la circulaire, la communication par les SIAO des listes à l’OFII ne se limite pas à ces objectifs. Elle « constitue un élément stratégique d’un pilotage, qui doit être effectué au niveau de chaque département » et qui vise à « garantir que l’hébergement des personnes s’effectue selon une prise en charge adaptée à chaque situation juridique : accueil et hébergement des demandeurs d’asile dans des hébergements dédiés dans l’attente de la fixation de leur statut ou en vue de la préparation de leur transfert, accès au logement des bénéficiaires de la protection internationale, préparation au retour des déboutés du droit d’asile. »

Le système envisagé par la circulaire va ainsi bien au-delà de ce qui a été présenté au Parlement lors de l’examen du projet de loi et conduit à une remise en cause des droits des personnes sans abri et des missions des 115115Numéro d’urgence sociale anonyme et gratuit pour les sans-abri/SIAOSIAOSystème intégré d’accueil et d’orientation et des associations de solidarité.

Le dispositif envisagé dans la circulaire

Tous les 10 du mois : le SIAO devra communiquer à l’OFII des données sur les demandeurs d’asile et les réfugiés hébergés : état civil,  statut (demandeur d’asile/ bénéficiaire d’une protection internationale), mais aussi l’adresse du lieu d’hébergement. Le numéro AGDREF (numéro d’identification des étrangers) et la nationalité précise seront par la suite inclus dans les données à transmettre.

Pour permettre l’intégration directe des données, ce système sera par la suite remplacé par une interconnexion entre le système d’information contenant les données des personnes sans abri « SI SIAO » et celui contenant les données des demandeurs d’asile hébergés dans le DNA et géré par l’OFII « DNA-NG » (travaux en cours). Cette interconnexion n’est pas prévue par la loi et pose également la question de la confidentialité et de la sécurité des données, les services des préfectures et du ministère de l’intérieur ainsi que les DDCS ayant accès au système d’information « DNA-NG ».

Les « équipes mobiles » prévues par la circulaire du 12 décembre 2017 seront mobilisées en complément de la transmission des listes par le 115/SIAO. Les agents de l’OFII, des préfectures et des DDCS interviendront ainsi dans les hôtels et les centres d’hébergement afin de « faciliter » l’identification et l’orientation des demandeurs d’asile et des réfugiés. A terme, elles interviendront « lorsque des difficultés seront rencontrées avec des structures d’hébergement dans les transmissions d’information ». Les règles d’intervention de ces équipes qui ont été précisées par le Conseil d’Etat ne sont pas rappelées (l’accord du gestionnaire et des personnes est nécessaire pour toute entrée dans les centres et toute rencontre avec ces agents).

Deuxième quinzaine du mois : des réunions mensuelles devront être organisées entre l’OFII et le SIAO. Les listes seront réutilisées lors de ces réunions en vue d’un « examen des situations individuelles » qui « doit s’exercer à chaque étape du parcours des personnes ». Ces réunions ne portent pas que sur la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés hébergées mais sont élargies à la situation des personnes souhaitant déposer une demande d’asile ainsi qu’à celles qui, à la fin de leur parcours, sont déboutées (sans que leur consentement ne soit requis). Des réunions réunissant SIAO, DT OFII, DDCSP et services préfectoraux en charge de l’asile et du séjour seront ensuite organisées pour assurer le pilotage de cette coordination et le suivi des objectifs à atteindre. Les règles relatives à la sécurité des données et au secret professionnel ne sont pas ici respectées.

Une partie de la circulaire porte par ailleurs sur une disposition prévue depuis la réforme de l’asile de 2015, selon laquelle les demandeurs d’asile qui ont refusé une offre dans le DNA ou qui ont abandonné le lieu d’hébergement dédié ne peuvent pas être accueillis dans le dispositif d’hébergement d’urgence (CHU et CHRS), sauf s’ils sont en situation de détresse (article L 744-9 du CESEDA). Dans ce cadre, il appartient à l’OFII d’informer le SIAO (les modalités de transmission des informations sont prévues dans un décret de 2017).

Les principales inquiétudes de la Fédération

Améliorer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile hébergés dans l’HU généraliste et permettre leur orientation vers le DNA ?

La Fédération partage et soutient l’objectif d’améliorer les conditions d’accès des demandeurs d’asile et des réfugiés à un hébergement ou à un logement et à un accompagnement adapté à leurs besoins. Cependant, si le nombre de relogement est en nette augmentation, les objectifs d’accès au logement des personnes réfugiées ne sont pas atteints puisqu’en 2018, 8 720  logements ont été mobilisés alors que le Plan Logement d’Abord en prévoyait 16 000.

Plus encore, l’objectif d’accès des demandeurs d’asile à un hébergement dans le DNA, qui justifie  la communication de la liste, apparait contredit par les orientations données  par le ministre de l’intérieur dans une circulaire du 31 décembre 2018 relative au parc d’hébergement des demandeurs d’asile. Cette instruction prévoit en effet de limiter et de contenir la création des places du DNA. Alors qu’environ 75 000 demandeurs d’asile sont sans offre d’hébergement dans le DNA, seulement 3 500 places d’hébergement supplémentaires seront ainsi créées en 2019 quand la Fédération demande la programmation de 40 000 places supplémentaires. Le nombre de places à l’hôtel relevant du financement du ministère de l’intérieur est aussi réduit et doit passer de 9 650 à 6 750 places.

Parallèlement, il est demandé, au nom d’un principe de spécialité budgétaire dévoyé, de limiter strictement l’accueil de ces personnes et de ces familles dans le dispositif d’hébergement généraliste.

Cette circulaire ne donne pas de moyens supplémentaires pour accueillir plus et mieux les demandeurs d’asile. Elle rappelle que ceux qui ne sont pas hébergés dans le DNA peuvent bénéficier du montant additionnel de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) afin de régler leurs frais de logement ou d’hébergement. Ce montant qui s’élève à  7,40 euros par jour par un adulte ne permet pas à ces personnes ni de trouver par eux-même une solution de logement, ni de régler une nuit d’hôtel.

Ces instructions ont visiblement commencé à être mises en œuvre dans certains départements. Elles conduisent concrètement, à partir des données personnelles communiquées, à des instructions demandant au service d’urgence 115/SIAO de restreindre l’accueil des demandeurs d’asile dans le dispositif d’hébergement d’urgence généraliste relevant du ministère du logement et à remettre à la rue des personnes fragiles, seules ou avec des enfants qui étaient jusque-là hébergés en raison de leur détresse.

Information du 31 déc. 2018 relative au parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale (extraits): « La prise en charge des demandeurs d’asile au programme 303 ne peut se faire que dans la limite des places indiquées dans l’annexe 1 de la présente instruction. -Les demandeurs d’asile qui ne sont pas accueillis en CADA ou tout autre structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l’asile pour l’accueil des demandeurs d’asile peuvent bénéficier dans les conditions définies par l’article D 744-26 du CESEDA du montant additionnel à l’allocation pour demandeur d’asile pour couvrir les frais d’hébergement et de logement. De même, en vertu du principe de spécialité budgétaire, le programme 177 n’a pas vocation à prendre en charge les demandeurs d’asile pour lesquels il existe un dispositif dédié, hors situation d’urgence et de détresse avérée. Dès lors, vous veillerez à ne pas favoriser la porosité des financements entre les places du programme 303 et celles du programme 177. Les places de chaque programme doivent faire l’objet d’une identification stable et durable. L’imputation des dépenses d’hôtel sur le programme 303 ne concerne que des places qui accueillent des demandeurs d’asile pendant leur période de prise en charge au titre de l’asile et dans la limite des places indiquées dans l’annexe 1 de la présente information. Ces places d’hôtel doivent être enregistrées dans le DNADNADispositif National d’Accueil. Les structures mixtes (c’est-à-dire rassemblant dans un même lieu places d’hébergement généraliste et places dédiées aux demandeurs d’asile) doivent être le plus limité possible. Les situations dans lesquelles l’imputation budgétaire d’une place fluctue entre le programme 303 et 177 en fonction de la situation administrative de la personne hébergée sont à proscrire également. »
Utiliser le service d’urgence 115/SIAO pour trier les personnes sans-abri en fonction de leur situation administrative et repérer les personnes déboutées de leur demande d’asile en vue de leur éloignement du territoire ?

En l’absence d’une augmentation significative des moyens pour accompagner les demandeurs d’asile, la Fédération s’inquiète aussi d’un détournement de la coopération entre les SIAO/115, l’OFII et les préfectures et d’une réutilisation des informations sur les personnes sans abri à des fins de gestion des flux migratoires.

Telles qu’elles sont envisagées dans la circulaire, les réunions mensuelles entre l’OFII et le SIAO conduisent à organiser l’orientation des personnes en fonction de leur statut administratif ainsi qu’ à un réexamen des situations individuelles des personnes hébergées sous le contrôle de l’OFII et des préfectures.

Cette nouvelle organisation des orientations des personnes qui sollicitent le service d’urgence 115/SIAO est également mentionnée dans la circulaire budgétaire AHI prise par le ministre du logement. Désormais les personnes sans-abri hébergées dans le dispositif généraliste et qui ont été déboutées de leur demande d’asile doivent faire l’objet d’une mesure d’éloignement notifiée par les préfectures et “normalement être orientées vers les dispositifs de préparation au retour (DPAR)” gérés par le ministère de l’Intérieur (qui ne sont plus seulement destinés au départ volontaire mais aussi au départ “contraint”). Il est de même pour les Dublinés qui doivent être orientés pour leur transfert contraint (voir note du  6 juillet 2018, non publiée mais mentionnée dans la circulaire sur la coopération entre les SIAO et l’OFII).

La mise en œuvre de ces nouvelles orientations remettrait en question le principe d’inconditionnalité de l’accueil, les missions de protection des personnes en détresse assurées par les 115/SIAO et les associations de solidarité ainsi que les règles de confidentialité et d’éthique qui s’imposent aux intervenants sociaux du secteur. Elle aurait pour effet d’aggraver le non recours aux services d’urgence 115/SIAO de personnes qui sont en détresse et d’alimenter les campements qui se multiplient déjà sur le territoire (cliquez ici pour lire le manifeste inter-associatif sur les campements).

Instruction du 9 mai 2019 relative à la campagne budgétaire du secteur “Accueil, hébergement et insertion” pour 2019 (extraits): « Vous veillerez également en lien avec la préfecture à ce que tous les outils prévus par la loi du 10 septembre 2018, qui sont rappelés par l’information du 31 décembre 2018 relative au parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des bénéficiaires de la protection internationale, soient mobilisés pour fluidifier le parc généraliste et garantir que les publics soient hébergés en fonction de leur situation administrative. Les personnes sous procédure Dublin doivent normalement être orientées vers les hébergements qui leur sont dédiés dans le département à proximité du pôle régional Dublin afin de faciliter leur transfert vers l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile. Les déboutés du droit de l’asile sont normalement orientés vers les dispositifs de préparation au retour (DPAR). A cet égard, pour mémoire, la préfecture doit veiller à ce que les déboutés accueillis dans le parc généraliste fassent bien l’objet d’une mesure d’éloignement dès le rejet de la demande d’asile par l’OFPRA pour certains demandeurs d’asile (réexamens, ressortissants de pays d’origine sûrs) et que cette mesure soit bien exécutée dès lors que les voies de recours juridictionnelles ont été épuisées. Cela ne signifie pas pour autant qu’une fin de prise en charge doive être prise à l’encontre de ces personnes si cette mesure n’est pas mise en œuvre, conformément au principe de l’inconditionnalité de l’accueil. »

La Fédération demande au gouvernement de renoncer à ces mesures et de renforcer les moyens des dispositifs gérés par les associations pour accompagner ces personnes et favoriser l’accès à leurs droits et à leur insertion.