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26 novembre 2019

3 questions à Marie Cervetti, directrice du FIT Une Femme un toit

FIT Une Femme un toit

Cortège du FIT Une Femme un toit à la Marche #NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles, Paris le 23 novembre 2019

A l’occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, nous avons rencontré Marie Cervetti, directrice du CHRS FIT Une Femme Un Toit, structure pionnière en France qui accueille exclusivement des jeunes femmes de 18 à 25 ans victimes de violences sexistes et sexuelles.

Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) : Qu’est-ce que le FIT ?

Marie Cervetti : Créé il y a 50 ans, le FIT, foyer international des travailleuses, est une association qui avait pour objet d’accueillir des jeunes travailleuses venues du monde entier. Au fil des années, avec la paupérisation qu’on a pu observer en France, l’établissement a ouvert 60 places en plus pour des femmes, toujours travailleuses, et 40 places dédiées à l’urgence. En 2004, on a créé un CHRS de 60 lits pour des jeunes femmes de 18 à 25 ans sans enfant avec elles, victimes de violences sexistes et sexuelles et en situation de précarité, tout en conservant 40 lits pour un foyer de jeunes travailleuses (FJT). En 2009, on a fermé nos activités FJT pour faire des travaux d’humanisation qui ont permis l’ouverture de beaucoup plus de chambres individuelles. A ce jour, on propose 36 chambres individuelles et 12 chambres à 2 lits en dispositif CHRS. Le FIT est aujourd’hui devenu Une femme un toit.

Dans notre structure, 77% des jeunes femmes ont vécu de violences au sein de leur famille (torturées, brulées, ayant vécu des violences extrêmes…) ; 67 % des jeunes femmes ont subi des violences sexuelles (viols, mutilations sexuelles…) et 57% d’entre elles ont été victimes de violences au sein du couple dont 22% victimes de viols au sein du couple. En moyenne, ces femmes ont 20 ans.
L’originalité de notre établissement est multiple. D’abord, nous accueillons des jeunes femmes de 18 à 25 ans qui ont vécu des violences sexistes et sexuelles. Ensuite, le lieu est fondé sur un travail triparti entre le Conseil d’administration, les résidentes et les salariées. Aucun projet ou atelier, qu’il soit culturel ou d’insertion pure, n’est monté sans l’aide et l’avis des résidentes. Enfin, l’emploi est au cœur de notre démarche grâce à un réseau d’entreprises partenaires qui permet un retour à l’emploi rapide et durable.
Toutes les actions que nous menons, dont beaucoup sont collectives, ont pour but de faire entrer les femmes dans le droit commun, de les sortir de l’isolement dans lequel elles se trouvent et surtout, de faire en sorte qu’elles puissent regarder le monde d’une autre manière que ce qu’elles ont connu jusqu’à présent.

FAS : Pourriez-vous nous dire toute l’importance d’un centre d’hébergement comme celui-ci ?

Marie Cervetti : Ouvrir un hébergement exclusivement dédié aux jeunes femmes victimes de violences, c’est reconnaître leur particulière vulnérabilité, mais c’est aussi les protéger le plus vite possible des dangers auxquels elles font face afin qu’elles puissent rebondir le plus vite possible.

Comme elles n’ont pas accès aux minima sociaux, 30% des femmes que nous hébergeons ont eu recours à la prostitution de survie (des services sexuels contre une nuit hors de la rue), celles qui ont vécu à la rue ont subi des viols à répétition. Bien qu’elles soient massivement victimes de violences, peu de dispositifs sont pensés pour elles… par exemple, elles appellent très rarement les numéros dédiés aux femmes victimes de violences, qui ont la réputation d’être des dispositifs réservés aux adultes. Nous avons donc une mission de prévention, de protection et d’émancipation.

FAS : Pourquoi n’y a-t-il pas plus de lieux comme celui-ci en France ? Qu’attendriez-vous des pouvoirs publics ?

Marie Cervetti : Il faut protéger les jeunes et particulièrement les jeunes femmes. Un pays qui ne prend pas soin de sa jeunesse est un pays qui n’a pas beaucoup d’avenir. Ces femmes ont des talent incroyables, elles sont intelligentes, capables de s’engager dans la société… ne pas les prendre en compte revient à créer collectivement un avenir bancal.
Chaque année en France, 93 000 femmes sont victimes de viols, ce qui représente 250 femmes par jour. Nous supposons que parmi elles, 25 femmes ont entre 18 et 25 ans et sur ces 25 femmes, au moins 2 par jour auraient besoin d’un hébergement. Nous refusons chaque année 400 demandes d’hébergement.  Où sont-elles ces filles ? Elles restent là où elles sont, en danger, et les viols continuent.
Notre association se bagarre pour qu’il y ait plus de lieux comme le nôtre dans toute la France. 60 lits pour toute la France, 6ème puissance mondiale, vous trouvez ça normal ??
Ce que je voudrais, c’est que les pouvoirs publics comprennent que les violences sont un système et que c’est au système qu’il faut s’attaquer, en intégrant systématiquement les violences faites aux femmes dans toute politique publique (logement, hébergement, éducation nationale, justice, santé…)
Pour cela, il faut continuer à faire monter le niveau d’insupportabilité et de prise de conscience dans la société, pour pouvoir faire pression sur les politiques publiques et qu’elles changent enfin de cap.

 Propos recueillis par Marguerite Bonnot

En + / Retrouvez la tribune de Marie Cervetti et Séverine Lemière “Nous attendions des politiques publiques coordonnées et financées” publiée dans Le Monde le 26 novembre 2019