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9 avril 2020

“Nous craignons aussi les conséquences indirectes du Covid-19 sur la vie des personnes sans abri” – Entretien avec Géraldine Franck, présidente du Collectif Les Morts de la Rue

Si la crise sanitaire et sociale actuelle agit comme un révélateur des insuffisances des politiques sociales, elle révèle aussi le travail indispensable des associations qui oeuvrent quotidiennement en faveur des plus précaires, et notamment des personnes à la rue. Entretien avec Géraldine Franck, Présidente du Collectif Les Morts de la Rue.

Fédération des acteurs de la solidarité : Pourriez-vous nous présenter Le Collectif des Morts de la Rue ?

Géraldine Franck : Depuis 2002, le Collectif Les Morts de la Rue (CMDR) rend  chaque année hommage aux personnes sans chez soi décédées en France. Il travaille à désinvisibiliser ces morts, et à lever l’opacité qui entoure leurs conditions de mort et de vie.

Le Collectif regroupe une cinquantaine d’associations qui sont en lien permanent avec les personnes en situation de précarité. Au-delà de la mort, le rôle du Collectif est de redonner vie et dignité à des personnes en apparence exclues de la société.

Nos activités principales sont les suivantes :

  • Faire savoir que vivre à la rue mène à une mort prématurée. Rendre un hommage annuel. Cela s’accompagne d’une enquête pour dénombrer et décrire la mortalité et de notre participation à des collectifs militants (Collectif des Associations Unies entre autres).
  • Veiller à la dignité des funérailles. Accompagner des morts isolés de la Ville de Paris et soutenir les associations de différentes communes de France confrontées à des difficultés.
  • Accompagner les proches en deuil, l’entourage confronté à la mort des personnes sans chez soi. Qu’il s’agisse des familles, ami·es de rue, cohébergé·es, bénévoles, salarié·es… par des groupes de paroles, des debriefings dans les structures, des formations sur mesure à destination des personnes souhaitant mieux faire face. Il s’agit d’un outillage administratif et juridique, et d’un accompagnement humain.
FAS : Qui sont précisément les personnes comptabilisées comme étant des « Morts de la rue » ? 

Géraldine Franck : Les décès de personnes “SDF” et ” anciennement SDF” survenus en France sont enregistrés par le CMDR tout au long de l’année. Différentes actions ont été entreprises pour optimiser le nombre des décès enregistrés : animation et sensibilisation d’un vaste réseau d’associations et d’acteurs institutionnels qui signalent les décès, veille active dans les médias et les réseaux sociaux… Pour chacun de ces décès, des informations sur les caractéristiques démographiques, le parcours de vie, et les circonstances du décès sont recueillies par téléphone auprès de tiers ayant connu les défunts, à l’aide d’un questionnaire standardisé.

L’analyse consiste en une description des caractéristiques sociales et démographiques, des circonstances du décès, de la distribution géographique et des facteurs associés au décès. Pour plusieurs variables une comparaison est faite entre les personnes en situation de rue et les personnes hébergées.

La population de cette étude est définie comme personne “SDF” ou “anciennement SDF” selon les définitions suivantes se rapportant au lieu de vie (lieu où la personne a dormi) les trois derniers mois, que ce lieu soit en France ou non :

Personne “SDF” : ayant dormi principalement dans les 3 derniers mois

“En situation de rue” :
• Dans un lieu non prévu pour l’habitation
• Dans un centre d’hébergement d’urgence avec remise à la rue le matin
• Dans tout type d’hébergement alloué pour pallier une urgence

“Hébergé.e” :
• Dans un centre d’hébergement collectif gratuit ou à faible participation
• Dans un logement squatté
• Dans le logement d’un tiers
• Dans un hôtel (hors situation pérenne)

“Probablement sans chez soi” :
• Dans un endroit inconnu, mais probablement dans les lieux précités d’après nos partenaires ou les médias

Personne “anciennement SDF” :
• N’ayant pas dormi principalement dans les lieux précités dans les 3 derniers mois mais ayant déjà répondu à la définition d’une personne SDF

FAS : Le Covid19 touche particulièrement les personnes à la rue, qui se retrouvent dans l’impossibilité de se confiner et ce, malgré les créations de places d’hébergement, toujours insuffisantes. Avez-vous déjà observé une progression des décès depuis le début du confinement ?

Géraldine Franck : Pas pour le moment mais il est sans doute trop tôt pour faire des diagnostics ou des pronostics. Ce que nous craignons, au-delà de la vulnérabilité face au Covid-19, ce sont des décès à mettre en lien avec les conséquences indirectes du Covid-19 : accès à l’alimentation rendu plus difficile et isolement social.

FAS : De quelle façon les associations ou toute personne peuvent faire remonter des informations sur les personnes décédées ?

Géraldine Franck : En nous contactant, par mail coordination.cmdr@orange.fr ou par téléphone au 01 42 45 08 01

FAS : Pouvez-vous nous parler de l’accompagnement que vous faites auprès des personnes hébergées dans les structures et le personnel des établissements ?

Géraldine Franck : Nous sommes une équipe présente pour écouter, aider concrètement en renseignant les différentes démarches administratives liées à la fin de vie, à la mort, aux funérailles… Nous sommes à l’écoute des besoins humains, disponibles pour parler, et inventer des manières particulières d’accompagner le deuil, de ritualiser, dans ce temps confiné.

FAS : En cette période très délicate, que demanderiez-vous aux pouvoirs publics pour protéger les personnes les plus vulnérables ? 

Nous demandons, à l’instar d’autres associations, la réquisition de logements en location meublée touristique et de chambres d’hôtel vacantes, ainsi que l’accès au matériel sanitaire indispensable (masques, gants, gel hydroalcoolique et blouses) pour la protection de ces personnes et des intervenant.e.s sociaux.ales et bénévoles.

Dans ce contexte particulier, nous préconisons avant tout un accès aux services d’hygiène et soins de base renforcés, et cela passe par un accès facilité à des services de première nécessité tels que : les bains douches (avec des créneaux en non-mixité), les sanisettes et les points d’eau potable ainsi que l’accès à des produits d’hygiène.

Ensuite, nous demandons un logement d’abord, pour tou.te.s :

Un endroit où habiter est primordial. On voit que l’importance du temps passé à la rue a très probablement des conséquences sur la santé physique et mentale, et une réinsertion qui devient plus difficile avec le temps, qui demande un accompagnement adapté à chacun.e.

Enfin, il est primodiral de miser sur la continuité de l’accompagnement :

La discontinuité est un facteur de risque de mortalité précoce. Une personne sans domicile peut mettre des mois ou des années avant de souhaiter être accompagnée, et, à titre d’exemple, les 3 jours entre une hospitalisation d’urgence et une hospitalisation en moyen séjour lui apparaissent une éternité, elle perd ses liens, c’est une période à haut risque.

Il faut un accès effectif au droit commun, ne pas séparer les familles, appliquer les droits des enfants, protéger les femmes des violences conjugales, lutter contre les marchands de sommeil, permettre aux services de domiciliation de fonctionner correctement, renforcer et rendre effectif le DAHO, le DALO.

Propos recueillis par Marguerite Bonnot

 Pour plus d’infos : http://www.mortsdelarue.org/