Retour à toute l'actualité

19 décembre 2017

Courrier des associations de solidarité au Préfet de la région d’Ile-de-France, Préfet de Paris sur le dispositif francilien d’accueil des personnes migrantes

Monsieur Michel Cadot
Préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris
5 rue Leblanc
75015 Paris

Paris, le 15 décembre 2017,

Monsieur le Préfet de la région d’Ile-de-France, Préfet de Paris,
Nous, associations qui hébergeons et/ou accompagnons les personnes en fragilité dans l’accès à leurs droits en Ile-de-France, constatons la mise en place sur le territoire francilien d’un dispositif d’accueil des étrangers reposant sur  une  orientation  différenciée  des  personnes en  fonction  de  leur  situation  administrative, vers des  solutions  d’accueil  dérogeant  aux  cadres  de  l’hébergement  généraliste  et  de  l’hébergement  des demandeurs d’asile.
Ont  ainsi  émergé  depuis  2015,  des  Centres  d’hébergement  d’urgence  pour  migrants  (CHU  migrants),  un centre de premier accueil des migrants primo-arrivants (CPA) à Paris, un Centre d’accueil et d’examen des situations (CAES) à Cergy, et des Centres d’aide au retour accompagné (CARA).
Si nous saluons la mobilisation des services de l’Etat en réponse aux situations d’urgence  sur le territoire francilien,  notamment  liées  à  l’augmentation  des  flux  migratoires  et  qui  ont  pris  la  forme  de  nombreux campements de rue ; nous nous alarmons toutefois quant aux dérogations aux principes structurant notre mission d’accueil et d’accompagnement, dans le cadre des capacités d’accueil créées.
En effet, nous constatons que les injonctions à mettre fin à la prise en charge des personnes migrantes dans ces structures d’accueil ne sont, dans la majorité des cas, pas accompagnées d’une possibilité d’orientation vers une solution d’hébergement ou de logement alternative, ce qui conduit à de nombreux retours à la rue.
Cette  situation  est  incompatible  avec  le  principe  de  continuité  de  l’hébergement  auquel  a  droit  toute personne en situation de détresse, quelle que soit sa situation administrative. A ce titre, il est nécessaire de permettre l’articulation de ces structures d’accueil avec le dispositif d’accès à l’hébergement et au logement
de droit commun qu’est le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO).
De même,  nous  déplorons  que  des  fins  de  prise  en charge  soient  décidées et mises  en  œuvre  pendant  la période hivernale sans orientation vers une solution d’hébergement ou de logement alternative, en dépit de la  trêve  hivernale dont  la  Loi  Egalité  et  citoyenneté du  27  janvier  2017 a  pourtant étendu l’application  à
l’ensemble des lieux habités, y compris aux bidonvilles.
Nous constatons également au sein de ces structures d’accueil une intervention policière accrue dérogeant au  droit  à  l’inviolabilité  du  domicile,  constitutionnellement  protégé  par  l’article  66  de  la  Constitution  de 1958, et aux principes applicables en cas d’interpellation, prévoyant que l’intervention des forces de l’ordre A  cet  effet,  nous  souhaitons  rappeler  notre  attachement à  ces  droits  et  principes,  et  la  nécessité  de  leur application dans les structures d’accueil dédiées aux personnes migrantes.
Nous  soulignons, en outre, la confusion sur le rôle  qui est dévolu aux associations gestionnaires de lieux d’hébergement dans le cadre de ces nouvelles capacités d’accueil, et nous nous alarmons des incitations à accomplir des tâches que nous considérons contraires aux missions d’accueil et d’accompagnement social.
Nombreuses sont les associations  qui ont ainsi été enjointes à notifier aux personnes des convocations en préfectures ou des mesures d’assignation à résidence, ainsi qu’à notifier et mettre en œuvre des décisions de  fin  de  prise  en  charge  pour  des  motifs  non  prévus  par  le  Code  de  l’action  sociale  et  des  familles,  en
particulier liés à la situation administrative des personnes.
Nous  rappelons  à  cet  effet  que  le  socle  de  nos  missions  repose  sur  le  principe  d’inconditionnalité  de l’accueil, prévoyant que toute personne en situation de détresse ait droit à un hébergement digne et à un accompagnement  adapté.  Nous  exprimons  notre  inquiétude  quant  à  la  compatibilité  de  ce  principe d’inconditionnalité  avec  la  spécialisation  des  capacités  d’accueil  dédiées  aux  personnes  migrantes,  et l’orientation différenciée des personnes en fonction de leur situation administrative.
Enfin, nous portons à votre connaissance notre vive inquiétude au regard de la dégradation des conditions d’accueil  et  d’accompagnement  proposées  aux  personnes  migrantes.  Nous  nous  alarmons  ainsi  des solutions déployées à l’étape du premier accueil, suite aux évacuations de campements, en gymnase ou dans des salles collectives dans des conditions peu respectueuses de l’intimité et de la dignité ; mais également du bas  seuil  des  conditions  d’accueil  et  d’accompagnement  mises  en  place  dans  certaines  structures  plus pérennes,  au  détriment  d’un  accueil  et  d’un  accompagnement  centrés  sur  les  besoins  des  personnes concernées.  Face aux situations d’urgence,  c’est donc dans des conditions de plus en plus contraintes que plusieurs de nos associations ont été amenées à mobiliser leur savoir-faire pour accueillir et accompagner ces personnes en situation de détresse.
En conclusion, nous demandons que soient appliqués dans les structures dédiées à l’accueil des personnes migrantes, les principes inscrits dans la Loi, et structurant notre mission d’accueil et d’accompagnement.
Nous demandons ainsi le respect du principe de continuité, supposant l’application de la trêve hivernale et la systématisation  pour  toute  fin  de  prise  en  charge,  y  compris  dans  le  Dispositif  national  d’accueil  des demandeurs d’asile, d’une orientation vers une solution d’hébergement ou de logement de droit commun en lien avec le SIAO.
Nous demandons également l’arrêt des interventions policières en structure sans décision de justice.
Nous demandons en outre la garantie de conditions d’accueil et d’accompagnement dignes, en apportant une vigilance particulière aux personnes ne disposant pas des ressources nécessaires.
De  plus,  nous  demandons  que  soient  garantis l’accès  des  personnes  à  une  information  adéquate  et  à  un accompagnement vers leurs droits, ainsi que l’accès effectif à leurs droits.
Enfin, nous exprimons notre inquiétude quant à la compatibilité du principe d’accueil inconditionnel avec la spécialisation des capacités d’accueil dédiées aux personnes migrantes, et l’orientation différenciée des personnes en fonction de leur situation administrative.
Nous   vous  savons  mobilisé  sur  le  sujet  de  l’accueil  des  personnes  migrantes  en  Ile-de-France,  et souhaiterions  vous  rencontrer  afin  d’envisager  les  possibles  évolutions  sur  ces  sujets  qui  suscitent  notre inquiétude.
Nous   vous   prions   de   croire, Monsieur   le   Préfet   de   région,   en   l’expression   de   notre   respectueuse considération.

Associations signataires :

  • Arthur ANANE, Président de la Fédération des Acteurs de la Solidarité Ile-de-France
  • Gérard BARBIER, Président Interlogement 93
  • Christophe BLANPIED, Responsable de L’Hébergement Différent
  • Hervé CAUCHARD, Secrétaire général de La Rose des Vents
  • Agnès COFFIN, Présidente Espérer 95
  • Eric CONSTANTIN, Directeur régional Fondation Abbé Pierre
  • Paul DUPREZ, Président d’Emmaüs Solidarité
  • François FASSY, Administrateur du GCSMS SIAO Insertion 75
  • Pierre FROTTÉ, Directeur de Solidarité Jean Merlin
  • Marc KIENY, Président de la Cimade Ile-de-France
  • Nicole LEGUY, Présidente de La Main Tendue
  • Jean-Louis LOIRAT, Président de l’Association des Cités du Secours Catholique
  • Jacques MERCIER, Président de Dom’Asile
  • François MORILLON, Directeur du Pôle Urgence Sociale et Hébergement d’Aurore
  • Jean-Luc MOULY, Président régional Ile-de-France du Secours Catholique
  • Daniel NAUD, Président de la Fondation Armée du Salut
  • Gilles PETIT-GATS, Directeur Général du Centre d’Action Sociale Protestant
  • Jeanine SOULIER, Présidente d’Hôtel Social 93
  • Claire VERGÉ, Présidente du Groupement ABRI