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9 mai 2025

Tribune | Stop à la dégradation toujours plus sévère de la protection de l’enfance

Alors que les rapports, les enquêtes et les articles accablants se multiplient, le collectif « Les 400 000 », créé il y a moins d’un an et réunissant les principales associations du secteur, appelle à la mobilisation nationale le 15 mai afin de demander aux pouvoirs publics de sauver la protection de l’enfance.

La France peut-elle encore tenir sa promesse aux 400 000 enfants mis sous sa protection ? La commission d’enquête a mené ses travaux. Des centaines de pages ont été produites – s’ajoutant aux milliers d’autres, depuis trois ans. Un plan d’action ministériel a été annoncé, encore, sans moyen et sans calendrier – s’ajoutant aux précédents, dont personne n’a pris la peine d’évaluer rigoureusement les résultats produits…

Pourtant, à hauteur d’enfant, la situation se dégrade. Plus de 2 000 d’entre eux vivaient à la rue en septembre 2024, dont près de 500 avaient moins de 3 ans. Faute de familles d’accueil en nombre suffisant, de plus en plus de bébés placés passent les premières années de leur vie dans des pouponnières, parfois débordées, à défaut de taux d’encadrement réellement applicables. En 2024 toujours, plus de 3 000 enfants en danger immédiat dans leur famille devaient être placés, par décision du juge, mais « patientaient » sur liste d’attente, faute de place pour les accueillir. Pour les mêmes raisons de saturation, les fratries sont souvent séparées, malgré la loi. Pour libérer des places, il n’est pas rare que des enfants soient orientés vers des appartements « en semi autonomie » dès l’âge de 14 ou 15 ans – parfois, c’est l’hôtel, en particulier pour les mineurs non accompagnés, malgré, là aussi, l’interdiction claire et nette de la loi. Les mesures d’action éducative en milieu ouvert, quant à elles, mettent parfois plus d’un an à être mises en œuvre après une décision du juge des enfants. Ce délai contribue à l’aggravation des situations familiales et peut conduire, in fine, à des placements qui auraient pu être évités.

Force est de constater que les professionnels de la protection de l’enfance peinent de plus en plus à remplir leur mission fondamentale, « tenir notre promesse aux enfants », comme l’écrit Aude Kerivel, sociologue, dans un essai récent (Protéger l’enfance, Flammarion, 2024). Cette promesse, c’est de les protéger du danger, d’où qu’il vienne. C’est aussi de les traiter dignement et de répondre à leurs besoins fondamentaux – notamment la sécurité affective et relationnelle. C’est également, lorsque cela est possible, d’intervenir de manière préventive auprès de leurs parents par un accompagnement systématique à visée universelle. C’est enfin de les aider, à l’approche de la majorité, à construire un avenir au sein de la société, et de lutter contre tous les déterminismes auxquels ils font face : les problèmes de santé (avec une perte d’espérance de vie allant jusqu’à vingt ans), la vulnérabilité liée à un handicap (un quart d’entre eux est en situation de handicap), l’orientation massive vers des filières non choisies (40% vers un CAP, contre 11% pour l’ensemble des jeunes), l’exclusion sociale (la moitié des enfants placés connaissent la précarité résidentielle à leur sortie de l’ASE).

Pour ces enfants, les professionnels forment une chaîne de solidarité sociale qui va des services d’assistance sociale aux éducateurs, en passant par les écoutants du 119, les magistrats, les avocats et les soignants, ainsi que les encadrants qui font tenir des plannings impossibles. L’implication de ces professionnels, malgré la surcharge, permet de sauver, chaque année, des milliers d’enfants d’une maldonne qu’ils n’ont pas demandée. Cependant notre système de protection de l’enfance se délabre : il ne repose plus que sur la confiance qu’on place en ces professionnels à continuer de le porter à bout de bras.

Combien d’enfants se sont sauvés eux-mêmes, malgré ce système ? Combien auraient pu être mis à l’abri plus tôt ? Combien peuvent nommer ce professionnel ou ce bénévole qui, malgré les vents contraires, a tout simplement été là pour eux ? Impossible de le dire aujourd’hui.

En revanche, nous savons que les conséquences du cumul d’évènements traumatiques subis pendant l’enfance, mal pris en charge, a coûté à notre société 34,5 milliards d’euros en 2019. Nous savons que le développement de l’intérim, notamment lucratif, détruit la relation éducative avec les enfants et constitue un gouffre financier. Le gâchis qui se joue sous nos yeux est incompréhensible, tandis que les scandales, comme le procès de Châteauroux, contribuent à entériner la pire crise de prise en charge et de vocations que n’ait jamais connue notre secteur.

Le 25 septembre dernier, réunis sous la bannière des « 400 000 », pour les 400 000 enfants concernés par une mesure de protection de l’enfance aujourd’hui, nous étions des milliers de professionnels, de bénévoles et de premiers concernés à marcher à Paris pour que les pouvoirs publics, et plus largement tous les Français, se saisissent rapidement des nombreuses propositions que nous formulons. Le 15 mai prochain, dans huit villes de France, nous manifesterons à nouveau, pour que naisse enfin le premier mouvement social en faveur de l’enfance.

Retrouvez la tribune publiée dans Libération