24 octobre 2025
28 octobre 2025
Dans le cadre de la journée nationale sur la santé des personnes exilées organisée par la FAS le 18 novembre prochain, nous avons rencontré Hatice Küp et Antonin Bravet, membres du groupe de travail dédié, pour connaître leurs défis quotidiens, et pourquoi il est essentiel de travailler collectivement pour montrer aux autorités que les associations ont des solutions.
Hatice Küp est responsable du service interprétariat projets et développement de l’association Migrations Santé Alsace à Strasbourg. Antonin Bravet est coordinateur du DATASAM (Dispositif d’Appui Technique pour l’Accès aux Soins et l’Accompagnement des Migrants ) au sein du Réseau Louis Guilloux en Bretagne. Ils sont membres du groupe de travail qui a permis l’élaboration du plaidoyer qui sera présenté le 18/11 la journée nationale sur la santé des personnes exilées le 18 novembre 2025.
Question FAS : A quels défis êtes-vous confrontés dans votre pratique quotidienne auprès des personnes exilées ? et comment y faites-vous face ?
Hatice Küp : Les traumatismes liés à l’exil, la perte de repères, la méconnaissance des droits, la précarité administrative et les discriminations ont des conséquences sur la santé et la santé mentale. Ces difficultés nourrissent un sentiment d’exclusion et conduisent à des prises en charge tardives et à des renoncements aux soins.
À ces obstacles s’ajoute la barrière de la langue, souvent, perçue comme un simple “problème de communication”, alors qu’elle engage une question de dignité, de droits fondamentaux et d’égalité d’accès aux soins. Dans nos échanges avec les professionnel·les, et les directions d’établissement, la langue est d’emblée citée comme un obstacle majeur à la prise en charge des personnes exilées. Néanmoins ses effets réels sur la relation de soin restent peu mesurés, évalués voire impensés.
Faute de cadre national contraignant sur l’interprétariat en milieu médical et social, les professionnel·les recourent ou sont contraints de recourir à des solutions de “bricolage” : un proche, un voisin, un·e patient·e de la même origine, google traduction, un enfant. Ces pratiques posent de réels enjeux éthiques : atteinte à la confidentialité, fiabilité incertaine de la traduction, inversion des rôles familiaux.
Pourtant, les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) et la loi de santé de 2016, reconnaissent l’interprétariat professionnel comme garant d’accès aux soins pour les personnes vulnérables éloignées du système de santé. Mais ces textes restent non contraignants.
C’est tout l’enjeu de notre engagement à Migrations Santé Alsace. Nous agissons sur plusieurs leviers complémentaires au niveau national avec le Réseau d’Interprétariat Médical Et Social (RIMES): l’interprétariat professionnel, le plaidoyer et la professionnalisation du métier d’interprète médical et social, l’éducation et la promotion de la santé, la formation et la sensibilisation des professionnel·les.
Antonin Bravet : Conséquence d’un climat politique et médiatique délétère et hyper stigmatisant vis-à-vis des étrangers qui arrivent en France, les publics exilés primo-arrivants que nous recevons sont de plus en plus précaires et démunis avec des conditions d’accueil qui se sont fortement détériorées ces dernières années : durcissement des règles administratives, diminution des moyens alloués au Dispositif National d’Accueil et, plus globalement, des conditions matérielles, qui se dégradent drastiquement, notamment sur l’accès au logement.
Tout cela engendre donc une précarisation toujours plus forte des personnes qui arrivent sur le territoire qui est de plus en plus dure à gérer, pour les personnes elles même et aussi pour les personnes qui les accompagnent.
Cette volonté de précariser toujours plus les personnes qui arrivent se constate très clairement au niveau de l’accès à la santé, avec un point de bascule qui s’opère début 2020 et l’instauration d’un délai de carence de 3 mois incompressible pour l’affiliation de tous les primo-arrivants à la sécurité sociale. Les personnes qui arrivent se retrouvent donc sans aucune couverture santé, ni sécu ni AME, et ne peuvent donc prétendre à aucun soin proposé par le droit commun. Les seuls recours pour se faire soigner sont donc auprès des asso ou des PASS hospitalières, ce qui entraine une saturation de ces dispositifs et des conditions d’accueil dégradés pour les autres publics. A titre d’exemple au centre médical du RLG, avant 2020 ce sont environ 3/4 des personnes qui se présentaient au 1er rdv avec des droits ouverts pour seulement 1/4 qui n’avaient aucun droit de santé. Aujourd’hui la proportion s’est inversée, avec toutes les conséquences que cela engendre.
Au niveau de l’état de santé des personnes, ce que l’on constate c’est que la santé mentale est une des principales difficultés auxquelles on doit faire face. Parce qu’environ un patient sur deux que l’on reçoit souffre d’un trouble de stress post traumatique et que, pourtant, en face, les réponses à leur apporter sont quasi inexistantes… alors même que, de la condition de leur santé mentale découle ensuite beaucoup de choses, notamment sur leur capacité à se soigner, à s’intégrer etc. Il semble impératif que des solutions concrètes soient mise en place rapidement… en surfant sur tous les beaux discours déployés à l’occasion de la santé mentale comme grande cause nationale de 2025 ?
Face à tout ça, les professionnels de nos structures bricolent alors comme elles peuvent mais la charge de travail, la charge émotionnelle et le sentiment d’impuissance face à un état maltraitant vis-à-vis de nos publics rendent les choses parfois décourageantes.
Question FAS : Dans le contexte politique actuel, pourquoi cette journée nationale sur la santé des personnes exilées est importante pour réfléchir ensemble aux réponses et ambitions que nous pouvons porter pour une prise en soins efficiente et adaptée aux besoins des personnes exilées ?
Hatice Küp : Le durcissement des politiques migratoires, la complexification des parcours de soins et l’accroissement des inégalités d’accès à la santé rendent cette journée plus nécessaire que jamais. De nombreux discours erronés circulent sur les personnes exilées, des propos stigmatisants, parfois ouvertement racistes, nourris d’idées reçues et amplifiés dans le débat public sans être véritablement étayés. Ces représentations simplifient des réalités humaines complexes et peuvent influencer, directement ou indirectement, la manière dont les politiques publiques sont perçues, relayées et appliquées.
C’est justement pour cela que cette journée revêt toute son importance. Elle offre un espace collectif pour interroger nos pratiques, confronter nos expériences et construire ensemble des réponses adaptées à la santé des personnes exilées.
C’est un lieu de rencontre et d’échanges entre tous les acteur·rices engagé·es dans l’accueil, l’accompagnement et la santé des personnes exilées : un espace pour croiser les regards, partager les pratiques et identifier les leviers d’action. Elle permet également de réfléchir à la transférabilité des initiatives qui ont fait leurs preuves dans d’autres régions, afin de faire émerger des propositions concrètes et harmoniser les pratiques à l’échelle nationale.
Enfin, cette journée est aussi un moment de plaidoyer collectif : rappeler que la santé est un droit fondamental universel, un droit qui ne saurait dépendre ni du statut administratif, ni de la langue, ni du pays d’origine et du lieu d’arrivée
Antonin Bravet : Pour échanger sur nos constats, nos pratiques, et sur les solutions qui peuvent être trouvées. Et puis parce que parfois, sortir un peu la tête du guidon permet de prendre un peu de recul et de se remotiver !
Apporter une réponse collective est déterminant pour faire face aux attaques de l’état au niveau national et local. Les problèmes que nous rencontrons sont d’ordre structurel, il faut donc essayer de changer le cadre dans lequel nos actions s’inscrivent en proposant des alternatives qui reposent sur des constats de terrain objectifs et qui placent la santé et la dignité des personnes comme les principales préoccupations, indépendamment de l’agenda politique électoral et médiatique, très souvent totalement décorrélés de la réalité.
En attendant que les lignes globales bougent, on s’organise, notamment en créant des alliances avec d’autres acteurs associatifs, des soignants, des travailleur.euses sociaux, mais aussi certaines institutions. En région Bretagne, nous avons la chance d’avoir de bons rapports avec l’agence régionale de santé mais la marge de manœuvre reste limitée.
Sur le sujet de la santé des étrangers en France, c’est le ministère de l’intérieur qui gère, alors que c’est le ministère de la santé qui devrait pouvoir nous répondre.
Cette journée du 18 novembre est une tentative à notre portée pour structurer une réponse nationale avec une voix unie auprès des instances décisionnaires et de montrer que nous avons aussi des solutions à proposer !