Retour à toute l'actualité

8 septembre 2025

« Pour des personnes « sans droit ni titre », la question des droits culturels est essentielle »

Camille Mathis est animatrice socioculturelle au Centre d’Hébergement Sans Frontière de la Sauvegarde du Nord à Lille, et membre du groupe d’appui national culture de la FAS. Au fil des années, elle a pu voir comment la place de la culture a évolué dans les structures sociales pour lesquelles elle a travaillé. Elle constate aujourd’hui que le sens du mot culture a changé, et que la prise en compte des droits culturels permet la reconnaissance de la culture de l’autre et participe au changement de regard.

 

FAS : Comment êtes-vous devenu animatrice socioculturelle ?

Camille Mathis : J’ai fait beaucoup de musique quand j’étais enfant et c’était important pour moi de garder un lien avec les arts dans mon métier. Après une Licence en médiation culturelle j’ai obtenu un Master Développement des Actions Culturelles sur le Territoire.

J’ai ensuite travaillé 2 ans en tant que travailleuse sociale dans une structure d’accompagnement social lié aux questions de précarité énergétique. Puis j’ai travaillé pendant 6 ans au sein du dispositif « Insertion Culture » du département du Nord. L’objectif était de faire le pont entre les structures sociales et culturelles du territoire de Flandres Maritimes. Les projets étaient coconstruits avec les personnes accompagnées par les structures sociales. Ma mission était d’aller chercher des artistes ou de proposer des sorties culturelles pour répondre à leurs besoins. C’était très formateur.

Aujourd’hui je suis animatrice socioculturelle au sein d’un centre d’hébergement d’urgence (CHU). Une année sur deux, je me consacre à la recherche de financements pour réaliser le projet de l’année suivante. Chercher des financements et écrire des bilans, c’est un travail purement administratif qui me prend du temps.

 

 

FAS : Comment la culture vient bousculer le social et pourquoi est-ce nécessaire pour les personnes que vous accompagnez ?

Camille Mathis : J’accompagne des familles hébergées pour la plupart en « diffus », avec des parcours de migrations, donc des cultures très diverses. Le programme de sorties culturelles proposées une à deux fois par mois aux familles nous permets de les initier au plaisir de voir un spectacle, et de leur donner envie d’y retourner seules. L’accompagnement ça passe par là, leur montrer qu’elles ont le droit de prendre du temps pour elles, de choisir d’aller ou non voir un spectacle, ou même de ne pas aimer un spectacle, leur montrer que leur avis compte.

Dans les projets que nous faisons ensemble, chacun.e peut prendre sa place, à son rythme, en fonction de ses envies, de ses talents. Les ateliers cuisine, par exemple, permettent de décloisonner nos pratiques, de mettre au même niveau les personnes accompagnées et les professionnel.les. Ces ateliers sont ouverts à tous.tes. Les habitant.es du quartier sont invité.es aussi. Tout le monde est à la même place, et s’appelle par son prénom. Ce sont les familles qui animent ces matinées. Chacune à tour de rôle, propose une recette de son pays à cuisiner puis à déguster ensemble, et l’équipe éducative est là pour les soutenir. Le reste du groupe devient alors commis, au service du ou de la cheffe.

Pour garder une trace de ces moments de partage et permettre à toutes les personnes qui ont participé d’être représentées, le grand projet 2024-2025 c’est de créer un livre de recettes du monde. Pour réaliser les illustrations, des ateliers ont été mis en place avec l’artiste Marjorie Dublicq. Ils sont proposés à toutes les personnes hébergées, y compris celles qui ne cuisinent pas. Tout le monde peut donc prendre part au projet à sa façon.

Nous avions déjà créé un livre au sein du CHU, un recueil de berceuses du monde où ce sont les familles qui chantent, accompagnées par des muscicien.es. En parallèle, un podcast questionnait des gens hébergés ou non sur leur rapport à la berceuse. Chanter une chanson dans sa langue maternelle, qui plus est, une chanson de son enfance, touche à l’intime et l’effet est très puissant. En faire un objet que tout le monde peut écouter est source de fierté. C’est aussi un bon prétexte pour parler de sa culture, la valoriser.

Les personnes que nous accompagnons au CHU sont souvent bloquées plusieurs mois, voire plusieurs années à cause des démarches administratives qui prennent de plus en plus de temps. C’est dévalorisant pour elles d’être dans cette position d’attente, « passives ». Les autorités leur demande d’intégrer la culture française, comme si elles devaient mettre de côté leur culture maternelle pour avoir le droit d’être là.

Faire des projets ensemble permet de gérer l’attente, de donner une place à leurs expériences, sans parler directement de leur parcours migratoire. Pour nous c’est une richesse d’être entourés de toute cette diversité de cultures et notre travail c’est de les aider à trouver leur place dans un projet pour se sentir moteur. Pour des personnes « sans droit ni titre », la question des droits culturels est essentielle.

 

 

FAS : Comment la place de la culture a-t-elle évolué dans le travail social ces dernières années ?

Camille Mathis : Aujourd’hui le sens du mot culture a évolué, il s’est enrichi. La culture englobe désormais, outre les arts, les droits culturels, ce qui permet la reconnaissance de la culture de l’autre et conduit à un changement de regard.

Mais dans la pratique, la place de la culture dépend encore beaucoup de l’appétence des professionnel.les qui travaillent dans les structures sociales. Le turn-over des équipes rend la continuité des projets difficile et si on se prend à hiérarchiser les urgences à gérer, les projets culturels peuvent être relayés au second plan alors qu’ils sont complémentaires aux autres pratiques.

Au-delà du fait de partager des choses avec l’équipe éducative et les autres habitant.es de son quartier ou de sa ville, assister à un spectacle ou participer à des projets culturels est un moyen de lutter contre l’isolement. Ça peut aussi amener au plaisir, ce besoin fondamental qui ne devrait pas être un luxe réservé à une minorité car il permet de s’affirmer. Par exemple, je me souviens d’une fois où nous avions assisté à un opéra contemporain et les personnes que nous avions accompagné n’avaient pas osé dire que ça ne leur avait pas plu. S’autoriser à avoir un avis sur une œuvre, c’est le rendre légitime.

 

 

FAS : Le 25 septembre 2025, la FAS organise sa première Journée nationale culture, pourquoi est-ce important ?

Camille Mathis : Ça fait du bien de poser des mots sur nos pratiques, de s’interroger sur nos missions, le sens que nous y mettons et l’importance de nos métiers. Nous avons besoin de prendre ces temps pour revaloriser nos actions.

Après le confinement tout était interdit, les sorties, les activités en groupe, il y a avait beaucoup de contraintes et je me suis interrogée sur le sens de mon travail et ma place au sein de l’équipe, bien qu’elle soit convaincue de l’importance de l’outil culturel dans notre travail d’accompagnement.

J’ai réalisé que mon rôle était de sortir des contraintes du quotidien mais j’avais besoin d’outils pour défendre mon métier. Organiser une journée nationale sur la culture c’est nous considérer. Dans le climat politique actuel où les personnes que nous accompagnons sont de plus en plus ouvertement stigmatisées, c’est compliquer d’apporter de la légèreté. Pourtant c’est la clé dans nos métiers : rester optimiste pour continuer de porter l’espoir.