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20 mars 2020

Covid-19 : l’urgence de la déflation carcérale dans un contexte de crise sanitaire

Article mis à jour le 25.03.2020

« Il y a urgence à agir pour diminuer la pression carcérale et permettre l’application, dans les maisons d’arrêt, des consignes élémentaires et impératives d’hygiène et de distanciation sociale. Pas demain. Pas la semaine prochaine. Aujourd’hui. »

Dans une tribune publiée ce jeudi 19 mars dans Le Monde et soutenue par la Fédération des acteurs de la solidarité, de nombreux chercheurs, magistrats, avocats appellent le gouvernement à prendre des mesures immédiates afin de faire baisser la pression carcérale.

En effet, les mesures de « distanciation sociale » visant à ralentir la contamination du virus Covid-19 sont dans les conditions actuelles impossibles à mettre en place de manière satisfaisante au sein des prisons. En effet, l’encellulement individuel est loin d’être respecté, de surcroît dans les maisons d’arrêt dont la densité atteignait en moyenne 138 % des capacités au 1er janvier 2020. A cela s’ajoute le fait que certains établissements sont insalubres, rendant les conditions d’hygiène plus difficiles à respecter encore. Dans un tel contexte, la crainte d’une flambée de l’épidémie en milieu fermé est très forte.

Le risque de flambée des violences inquiète également. Divers incidents (refus de réintégrer les cellules, incendies, dégradations…) ont déjà eu lieu dans plusieurs établissements pénitentiaires français, en réaction principalement à la suspension des parloirs. Une hausse croissante des tensions est prévisible, à l’image de la crise italienne, accompagnant la suspension de quasiment toutes les activités menées en détention (scolarité, formation, travail, activités socioculturelles, culte…) mêlée à la peur croissante des personnes détenues face à l’absence de mesures suffisantes prises pour les protéger contre le virus.

Pour apaiser les tensions en cours ou à venir, des mesures ont toutefois été annoncées par la ministre de la Justice Nicole Belloubet : gratuité de la télévision et crédit téléphonique de 40 euros par mois accordé à toutes les personnes détenues, doublement de l’aide financière habituelle pour les personnes les plus démunies. Des mesures qualifiées d’exceptionnelles qui vont certes dans le bon sens en prenant en compte la situation des personnes sans ou avec peu de ressources. Rappelons néanmoins que les personnes incarcérées n’ont pas accès à internet, que la majorité des personnes détenues n’ont pas de téléphone en cellule et que le coût des communications depuis la détention est extrêmement élevé.

Aussi, plusieurs personnalités signataires de cette tribune demandent à ce que soit urgemment réduit le nombre de personnes incarcérées en fin de peine ou cours d’exécution de courtes peines, ainsi que l’évacuation sanitaire des plus vulnérables (personnes malades, âgées…) ou a minima que soit organisée leur protection sanitaire.

Dès le 17 mars, Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, évoquant un « risque sanitaire élevé » pour les personnes détenues, recommandait déjà dans un communiqué publié le 17 mars 2020 de « réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil des établissements en proposant, adoptant ou suscitant toute mesure utile pour favoriser les sorties de prison et limiter les entrées ».

Jacques Toubon, Défenseur des droits, a également réagit en adressant un courrier à la Garde des Sceaux dans lequel il recommande, au regard du risque de la propagation du virus et l’atteinte au droit à la santé et à la vie des personnes détenues et des personnels pénitentiaires, que des instructions soient données aux parquets de requérir le plus souvent possible aux mesures suivantes : libération sous contrôle judiciaire des personnes qui n’ont pas encore été jugées, aménagement de peine ou sortie anticipée des personnes en fin de peine, suspension des peines pour raison médicale des détenu.e.s les plus vulnérables et octroi de permissions et d’autorisations de sortie. Il recommande également que des mesures soient prises pour faciliter les moyens de communication à distance entre personnes détenues, leurs proches et leurs avocats. Des juges d’application des peines de plusieurs ressorts de France prononceraient déjà des mesures d’aménagement de peine ou de libération anticipées pour les personnes détenues disposant d’un logement ; il s’agirait désormais d’agir en faveur de la généralisation de ces pratiques via une communication aux parquets.

Le Défenseur des Droits, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et le Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ont sorti une tribune publiée dans Le Monde le 20 mars dernier dans laquelle ils préconisent notamment de « réduire le nombre des personnes détenues dans les maisons d’arrêt à la fois en différant la mise à exécution des courtes peines, (…) et en prenant de manière rapide et massive les mesures nécessaires pour faire sortir sans délai, et sans s’interdire les voies de la grâce ou de l’amnistie, les personnes détenues les plus proches de leur fin de peine, en particulier les mineurs et les personnes particulièrement vulnérables, dépendantes, ou souffrant de pathologies chroniques ou de troubles mentaux ».

De son côté, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a publié une Déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte de la pandémie de coronavirus (Covid-19) indiquant notamment que « les autorités devraient recourir davantage aux alternatives à la détention provisoire, aux peines de substitution, à la libération anticipée et à la mise à l’épreuve ».

Une circulaire publiée le 19 mars, relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19 et adressée aux procureurs, indique qu’il conviendra de différer la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement afin de limiter puis de réduire le nombre des personnes détenues. La Garde des Sceaux a indiqué le 19 mars que ces mesures avaient déjà pris effet et qu’étaient quotidiennement comptabilisées une trentaine d’entrées en prison contre plus de 200 habituellement. Concernant les personnes déjà détenues et dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à un an, la circulaire indique sans autre précision qu’il pourra être fait application des dispositions de l’article 720-1 du code de procédure pénale permettant de suspendre l’exécution de la peine pour motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social. Les demandes de permission de sortir et l’examen au titre des réductions supplémentaires de peine pouvant entraîner la libération immédiate doivent pouvoir se faire « dans certaines situations urgentes », y compris en cas d’impossibilité de réunion des commissions d’application des peines.

Si elles vont dans le sens d’une désinflation carcérale en limitant les entrées en détention et en favorisant la suspension des courtes peines de prison, ces mesures semblent toutefois largement insuffisantes pour réellement améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées durant cette crise sanitaire. Elles sont en tous les cas bien en deçà de ce que demandent le Défenseur des droits, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et une partie de la société civile, dont la Fédération des acteurs de la solidarité.

Par la suite, la Garde des Sceaux a annoncé ce lundi 23 mars qu’elle prévoyait la libération anticipée de 5 000 détenus afin de tenter d’éviter une flambée de l’épidémie de covid-19 en détention. Ces libérations concerneraient les personnes détenues en fin de peine qui avaient été incarcérés pour des délits mineurs et sans problème de comportement lors de leur incarcération. Si nous pouvons saluer cette décision, il convient néanmoins de souligner l’absolue nécessité que les personnes libérées disposent d’une solution d’hébergement ou de logement afin de leur éviter une sortie sèche et une potentielle situation de rue, de surcroit en pleine période de confinement.

Cette annonce ministérielle est en cohérence avec la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie du covid 19 votée ce week-end et qui permet au gouvernement de prendre par ordonnances des mesures d’adaptation des lois en raison de l’urgence sanitaire. Le contenu des ordonnances permettant d’aménager les règles relatives à l’exécution et l’application des peines privatives de liberté devraient être bientôt connu.

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Pour aller plus loin :

Cliquez ici pour lire l’article de la FAS sur les mesures prises en milieu ouvert et fermé depuis le début de la crise sanitaire

Cliquez ici pour lire la Déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte de la pandémie de coronavirus (Covid-19)

Cliquez ici pour lire la tribune publiée dans le Monde par le Défenseur des droits, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et le Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme – 20 mars 2020

Cliquez ici pour lire la tribune collective publiée dans le Monde – 19 mars 2020

Cliquez ici pour voir le communiqué du CGLPL – 17 mars 2020

Cliquez ici pour voir la communication du Défenseur des droits « le Défenseur des droits appelle à la vigilance sur les conditions de détention et les risques de contamination » – 20 mars

Cliquez ici pour voir la tribune des avocats de la Conférence du barreau de Paris – 19 mars 2020

Cliquez ici pour voir le communiqué de l’A3D, l’ANJAP, l’OIP-SF, le SAF et le SM

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N’hésitez pas à faire remonter toute information à alice.tallon@federationsolidarite.org, chargée de mission Justice à la Fédération des acteurs de la solidarité