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28 août 2025

Tribune | Baromètre 2025 – Pascal Brice et Adeline Hazan

Retrouvez la tribune sur le site de Ouest France…

2 159 enfants à la rue, zéro sursaut

En 2019, pour la première fois, l’UNICEF France et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) publiaient leur baromètre Enfants à la rue. La réalité brutale révélée par les chiffres aurait dû provoquer un électrochoc et générer le sursaut politique nécessaire pour mettre fin à cette situation indigne. Il n’en a rien été.

Nous publions aujourd’hui notre 7e baromètre. Un rendez-vous devenu rituel dont le constat, hélas, reste inchangé : chaque rentrée scolaire compte davantage d’enfants à la rue, et la réponse publique demeure – quant à elle – cruellement insuffisante. Ce rendez-vous, nous aimerions ne plus avoir à l’honorer. Mais, sans un engagement politique fort et immédiat pour lutter contre le sans-abrisme, le même constat s’imposera l’an prochain, aggravé une fois encore.

Cette année, dans la nuit du 18 au 19 août, au moins 2 159  enfants, dont 503 de moins de 3 ans, sont restés sans solution d’hébergement, après que leur famille a sollicité en vain le 115, faute de places disponibles ou adaptées pour les accueillir [1]. Ces chiffres marquent une augmentation du nombre d’enfants sans solution de 6% par rapport à 2024 et de 30% depuis 2022.

Aussi dramatiques soient-elles, ces données sont loin de révéler toute la gravité de la situation. De nombreuses familles ne parviennent pas à joindre le 115 ou n’essaient même plus. Les mineurs non accompagnés sans-abri, pourtant nombreux [2], échappent

au décompte.  Et dans les territoires ultramarins, l’ampleur du mal-logement reste mal mesurée, faute de données consolidées. Alors que ce phénomène toucherait 3 habitants ultramarins sur 10 [3], le passage des cyclones Chido, Dikélédi et Garance dans l’Océan Indien a multiplié le nombre de familles à la rue. A La Réunion, alors que le phénomène était exceptionnel il y a peu encore, plus de 1000 enfants se retrouvaient sans solution d’hébergement en 2024, dont 330 avaient moins de 3 ans [4].

La solidarité locale ne peut pallier toutes les défaillances de l’Etat 

Face à l’attentisme de l’Etat, toutes celles et ceux qui n’ont pu se résoudre à détourner le regard s’organisent. Associations, collectivités, citoyennes et citoyens engagés se mobilisent, parfois au-delà de leurs responsabilités : ils apportent leur aide aux familles concernées et font vivre la solidarité, dans un contexte où celle-ci est affaiblie par le désengagement de l’État et ses manquements au respect des droits fondamentaux.

Mais cette solidarité, aussi admirable soit-elle, ne peut pallier les défaillances de l’Etat. Le sans-abrisme est un phénomène systémique. La réponse doit être ambitieuse, politique, structurelle et s’inscrire dans une réforme plus globale de la politique du logement social.

Pas d’économies sur la dignité des enfants

L’examen du prochain Projet de loi de finances représente un rendez-vous avec la solidarité à ne pas manquer. Augmenter le nombre de places d’hébergement et se donner les moyens de mettre en œuvre une politique ambitieuse d’accès au logement ne sont pas de simples arbitrages budgétaires. Ces mesures ont un impact concret et direct sur la vie de milliers d’enfants qui aspirent à retrouver leur insouciance et reprendre sereinement le chemin de l’école.

Avoir un toit, se sentir en sécurité, pouvoir prendre une douche et manger un repas chaud ne devraient jamais être les préoccupations premières d’un enfant. Investir dans leur protection est une obligation légale et morale et, si ces raisons ne sont pas suffisantes dans le contexte de baisse des dépenses publiques que nous traversons, c’est aussi un calcul rationnel. Chaque euro “économisé” aujourd’hui au détriment de leurs droits alourdira la dette sociale, humaine et économique pour les générations futures.

L’inacceptable ne doit jamais devenir la norme

En 2025, nous attendons toujours que se concrétise l’engagement, pris par les gouvernements successifs, de “ne plus avoir aucun enfant à la rue”. Les solutions pour y parvenir sont pourtant évidentes. Nous appelons l’État à inscrire, dans le budget 2026, une augmentation significative du nombre de places d’hébergement et à mettre en œuvre – avec tous les acteurs concernés – une programmation pluriannuelle de la rue au logement ; seule voie pour sortir durablement de cette crise qui n’a que trop duré.

En 2025, sur notre territoire, des enfants et des nouveau-nés dorment encore dans des hôtels insalubres, des gymnases, des parkings, sous des tentes ou dans des bidonvilles. Cette situation tue. En 2024, le collectif Les morts de la rue a dénombré 31 enfants morts à la rue, sur 855 décès au total [5]. Combien en faudra-t-il en 2025 pour que les mots « urgence » et « responsabilité » prennent enfin tout leur sens ? Il est temps de se doter de politiques publiques à la hauteur du drame qui se joue. Dans un pays comme la France, il n’y a pas d’impuissance. Ce qui manque, c’est la volonté.

[1] UNICEF France, Fédération des acteurs de la solidarité, Baromètre « Enfants à la rue », 2025.
[2] Coordination Nationale Jeunes Exilé.es En Danger, Mineur.es non accompagné.es refusé.es ou en recours de minorité : recensement national du 20/03/2024.
[3] Fondation pour le Logement, Agir contre le mal-logement dans les départements et territoires d’Outre-mer – Etat des lieux, 2023. | UNICEF France, Grandir dans les Outre-mer, Etat des lieux des droits de l’enfant, 2024.
[4] Fondation pour le logement, L’état du mal logement à la Réunion, 2025.
[5] Collectif Les morts de la rue, Mortalité des personnes sans chez-soi, 2024.